Débat sur Europe 1 : Le DPI, une technique « irrémédiablement eugéniste » ?

Publié le 26 Juil, 2015

Emmanuel Hirsch, directeur de l’Espace éthique de l’AP-HP (Paris) et Jacques Testart, directeur de recherche honoraire à l’Inserm et père du premier « bébé éprouvette » réagissaient lundi midi aux questions des auditeurs d’Europe 1 sur le DPI[1] : alors que l’autorisation vient d’être donnée à une femme porteuse d’une mutation prédisposant aux cancers du sein et de l’ovaire de recourir au DPI pour sélectionner un embryon « indemne de cette atteinte génétique »[2],  que penser de cette technique ?

 

A la différence du diagnostic prénatal (DPN), qui « existe depuis plus longtemps » et concerne un embryon ou un fœtus dans le sein de sa mère, le DPI est une technique liée à la FIV[3] qui fait le « tri parmi des dizaines d’embryons » au laboratoire, avant l’implantation. Ces deux techniques ont évolué et sont « de plus en plus accessibles, de plus en plus invisibles, liées à une norme de plus en plus importante ». Le DPN aboutit dans la plupart des cas à une IMG si une « anomalie » est découverte, et le DPI à la destruction des embryons non sélectionnés.

 

Jacques Testart porte un regard alarmiste sur les dérives du DPI : une technique « irrémédiablement inscrite dans une démarche eugéniste », conséquence des FIV qui nous poussent à « produire de plus en plus d’embryons pour être plus sélectif ». Actuellement aux Etats Unis, le choix du sexe est devenu pratique courante et même un véritable « marché », et en Angleterre, les embryons porteurs de gènes entrainant un strabisme sont supprimés.

 

A l’avenir, Jacques Testart parle de la « fabrication des gamètes en laboratoire à partir de cellules prélevées chez les parents », qui permettra de produire des embryons « par centaines » entrainant « une possibilité de choix démultipliée ». Les dérives sont déjà là : « Aujourd’hui en France, on élimine avec le DPI des embryons qui ne seraient pas éliminés avec le DPN », alors même que la France a adopté la règlementation « la plus stricte ». « Ce n’est pas de la science fiction » renchérit Emmanuel Hirsch, citant l’exemple de la Chine qui mène « un travail sur les gènes des caractéristiques intellectuelles». Les deux experts mettent peu d’espoir dans un éventuel moratoire, « les enjeux financiers et la compétitivité scientifique » étant peu enclins à une « remise en cause éthique ».

 

Jacques Testart poursuit : « On s’efforce de ne pas faire vivre des personnes ‘sans intérêt’ ou ‘qui coûteraient trop cher’ » ; aujourd’hui, les limites se trouvent dans « le coût » de ces techniques et les contraintes de la FIV, mais dès lors que les gamètes seront fabriquées artificiellement et les coûts abaissés, le développement sera inéluctable. « Nous en sommes au BAba, on met le pied à l’étrier. C’est évident depuis 30 ans que ça va se développer autrement ! »

 

Emmanuel Hirsch nuance ces propos et se positionne contre un DPI « pour convenance personnelle » mais en faveur d’un DPI «d’aspect thérapeutique c’est-à-dire pour prévenir des maladies graves ». Il s’interroge sur notre « relation au savoir », une « question éthique et politique difficile » : « lorsqu’on met au monde un enfant, doit on tout savoir sur ce qu’il va devenir ? Circonscrire sa destinée à ce qui nous semble le plus parfait ? Doit-on tout mettre en œuvre pour que l’originalité, le côté inédit de chaque naissance soit soumis à une médicalisation et à la biologisation de la naissance ? » En outre, « qu’allez vous faire de ce savoir si vous n’avez pas de traitement ? Il est des savoirs qui sont insupportables ! »

 

Pour Jacques Testart, la distinction entre un DPI « pour convenance personnelle » et un DPI « thérapeutique » ne tient pas : « Pourquoi priver les parents du bénéfice d’avoir un enfant selon une image qui les satisfasse ? Si le choix de l’enfant est possible, indolore, efficace, de quel droit priver les parents des enfants qu’ils ont choisi ? »

 

Un auditeur pose la question de la pertinence d’une liste des maladies génétiques les plus graves, qui permettrait selon lui d’encadrer le DPI. Mais Jacques Testart l’interroge : « Tous ceux qui sont atteint de cette maladie dans la société n’aurait pas du naitre ? » Comme le montre l’exemple britannique, une telle liste est inévitablement « évolutive » et « discriminante à l’égard de la personne et de ses tiers », poursuit Emmanuel Hirsch.

 

A un autre auditeur qui voit dans le DPI une voie pour éviter aux familles de « s’éclater » et de « supporter la charge d’un enfant handicapé », Jacques Testart répond : « Les couples se séparaient aussi avec des enfants ‘normaux’ ». A l’argument de la « pression » exercée par les parents sur les frères et sœurs d’un enfant handicapé, il objecte : « Le problème sera le même avec les ‘rescapés du tamis génétique’ qui devront être à la hauteur du mal que l’on s’est donné pour les concevoir ».

 

Tout au long du débat, Emmanuel Hirsch pose la question de l’accueil du handicap par la société. Ces techniques disent aux couples : « Vous choisissez d’assumer la charge d’un handicap lourd, ne comptez pas sur la société ». Il souhaite au contraire que soit encouragée « un travail de pédagogie, une sensibilisation des familles au handicap ». Le problème est ici « politique », et requiert une « mobilisation de la société » : « Notre société sera-t-elle en capacité demain d’accepter comme un de ses semblables une personne qui présente un déficit soit physique soit mental ? »

 

Pour écouter l’émission, cliquer ici. (à partir d’1h15)

 

[1] Diagnostic Pré Implantatoire.

[2] cf. Gènéthique du 17 juin, 22 juin et 23 juin 2015.

[3] Fécondation In Vitro.

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