De l’arrêt de l’alimentation artificielle à l’euthanasie

Publié le 30 Avr, 2008

Responsable de la Commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon, Pierre-Olivier Arduin analyse le statut conféré à l’alimentation artificielle par la loi sur la fin de vie actuellement en vigueur. C’est ce “détail” qui pourrait bien se retourner contre la loi Leonetti et en menacer l’équilibre précaire.

 

Traitement ou soin ?

 

La loi du 22 avril 2005 accorde en effet au patient, qu’il soit en fin de vie ou non, la liberté de refuser “tout traitement“, le texte incluant expressément dans cette disposition l’arrêt de l’alimentation artificielle. Ce que contestent de nombreux bioéthiciens, l’alimentation assistée ne cherchant pas tant à contrecarrer une pathologie organique touchant cette fonction qu’à pallier un problème simplement mécanique en répondant à un besoin de base de l’organisme. Ils suggèrent d’ailleurs de remplacer l’expression “alimentation assistée” par “nutrition médicale” afin de bien insister sur son caractère ordinaire pour la conservation de la vie.

 

On ne peut donc, en aucun cas, parler ici d’obstination déraisonnable ou de traitement disproportionné “puisque justement l’alimentation médicale peut être poursuivie longtemps, sans effet secondaire majeur et avec une grande efficacité pour soutenir la vie du patient, ce qui est exactement la définition d’un soin proportionné“. Laisser mourir d’inanition un patient qui ne peut s’alimenter seul en suspendant l’administration de nutriments, relève bien d’un geste euthanasique, dans la mesure où la mort est souhaitée pour elle-même puisqu’on pourrait l’empêcher, sans que cela relève de l’acharnement thérapeutique.

 

Directrice du Centre d’éthique de l’hôpital Cochin, Véronique Fournier reconnaît qu’”un arrêt d’alimentation et d’hydratation peut être décidé avec pour intention de faire mourir“1. “Plutôt que de parler de soin disproportionné, ne faut-il pas plutôt admettre que c’est la vie des malades qui nous semble “disproportionnée” en raison de leur faible “qualité” ?“, interroge Pierre-Olivier Arduin.

 

Stratégie pro-euthanasique

 

Cette “brûlante” question de l’arrêt de l’alimentation artificielle est, depuis longtemps, un des leviers des militants pro-euthanasie. Ainsi, en septembre 1984, lors de la Vème Conférence mondiale des associations “pour le droit de mourir dans la dignité”, l’australienne Helga Kube indiquait déjà la marche à suivre pour aboutir à la légalisation de l’euthanasie : “si nous pouvons obtenir des gens qu’ils acceptent le retrait de tout traitement et soin, spécialement l’arrêt de toute nutrition, ils verront quel chemin douloureux c’est de mourir et accepteront alors, pour le bien du malade, l’injection létale“.

 

“L’affaire Pierra”

 

C’est exactement cette méthode qui a été utilisée pour ébranler l’opinion publique avec l’euthanasie d’Hervé Pierra. 

Jeune homme au terrain psychologique fragile, Hervé Pierra consomme de manière régulière du cannabis, puis se déclenche chez lui une schizophrénie qui l’oblige à prendre des médicaments le rendant impuissant. Capitaine de sapeurs-pompiers, son père le retrouve un jour pendu et parvient à le sauver. Mais le manque d’oxygénation de son cerveau laisse Hervé dans un état végétatif persistant. “L’idée de mettre fin à ses jours nous a bien sûr effleurés, mais nous savions que nous n’aurions pas pu survivre à ce geste“, raconte sa mère. Mais, au même moment, la France entière débat du “droit de mourir”, après que Marie Humbert ait “euthanasié” son fils Vincent, le 30 septembre 2003. Paul et Danièle Pierra vont donc suivre “dans les moindres détails” les suites de “l’affaire Humbert” ainsi que les travaux de la Commission parlementaire sur la fin de vie. Ils s’inscrivent en même temps à l’Association pour “le droit de mourir dans la dignité” (ADMD) et à l’association “Faut qu’on s’active”, fondée par Marie Humbert. “Nous avions plein d’espoir pour la libération d’Hervé“, confie Monsieur Pierra. 

 

A peine la loi Leonetti est-elle promulguée, le 22 avril 2005, que les époux Pierra demandent le retrait de la sonde d’alimentation de leur fils, désormais donc considérée comme un traitement qu’il est possible d’arrêter. L’équipe médicale refuse d’abord, à plusieurs reprises, rappelant que “l’alimentation assistée relève d’un soin de confort et non d’un traitement” et que “la débrancher équivaudrait à une euthanasie“. Après 14 mois de confrontation, c’est finalement le Dr Régis Aubry, président du Comité national du développement des soins palliatifs qui, répondant favorablement à la demande des parents, permettra qu’on débranche Hervé. Comme Terry Schiavo décédée le 31 mars 2005 aux Etats-Unis (cf. Gènéthique n°64), Hervé Pierra mettra six jours pour mourir de faim dans d’atroces convulsions. 

 

On crie alors au scandale de la mort sale que permet la loi Leonetti“, on accuse d’hypocrisie une loi qui refuse l’injection létale, on met en cause l’équipe médicale en charge d’Hervé Pierra… Mais, ici, c’est bien le nouveau statut de l’alimentation artificielle qui est le ressort intime de ce drame humain.

 

Aujourd’hui, en France, la stratégie des militants pro-euthanasie vise donc à dénoncer l’ambiguïté de l’actuelle loi, plaidant pour “le choix mortel de l’euthanasie légale sensée y remédier“. Pour Pierre-Olivier Arduin, “le législateur se retrouve donc pris au piège d’approximations qui font le jeu de ses adversaires“, ici les partisans d’une dépénalisation de l’euthanasie…

 

1. Le Monde, 19/03/08

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