La technique du CRISPR/Cas9 fascine et inquiète. Entre intérêt et préoccupation, ses applications ont fait la une des médias depuis le mois d’avril 2015, alors que des chercheurs chinois annonçaient l’avoir utilisée pour modifier le génome d’embryons humains (cf. Manipulation génétique sur l’embryon : une transgression inquiétante). Le débat met du temps à se lancer en France, et les réactions des autorités compétentes tardent à émerger.
Une première communication vient de l’Académie de médecine, qui a publié le 16 février dernier une « information » intitulée « modifications du génome des cellules germinales et de l’embryon humain », et signée notamment par Pierre Jouannet[1], Alain Fisher[2] et Jean-François Mattei[3].
Il s’agit d’un premier volet, qui ne traite pas encore des questions éthiques, ni des « applications non médicales » de CRISPR.
Les premières conclusions sont inquiétantes, venant d’une autorité symbolique en France : « L’absence d’application clinique ne doit pas empêcher les recherches fondamentales et précliniques dans le domaine, y compris sur les cellules germinales et les embryons humains, afin notamment de mieux connaitre les mécanismes régulant la gamétogenèse et le développement précoce de l’embryon ainsi que leurs anomalies. Elles devraient donc être autorisées et soutenues quand elles sont scientifiquement et médicalement pertinentes ». Selon ce rapport, la technique n’est pas à ce jour assez « sûre » et « efficace » pour être utilisée sur des embryons qui seraient ensuite implantés. Toutefois, cette méthode incertaine devrait pouvoir être utilisée sur des embryons qui seront ensuite détruits.
Poussant au bout leur démarche, les auteurs envisagent de « clarifier, éventuellement par une modification législative, l’ambigüité qui peut persister » entre différents articles du code civil et du code de la santé publique, certains autorisant les recherches sur l’embryon[4], mais d’autre interdisant la création d’embryons transgéniques[5] ou excluant toute transformation des caractères génétiques dans le but de modifier la descendance[6].
Enfin, il est intéressant de noter le raisonnement surprenant des auteurs concernant les applications cliniques de CRISPR. Les chercheurs souhaitent, en modifiant le génome d’embryons humains, éviter la transmission de pathologie génétique à un enfant. Mais ici le rapport considère que la solution de « détruire plutôt que de traiter » est satisfaisante : le dépistage prénatal ou préimplantatoire suivi d’une interruption médicale de grossesse sont des rouages bien en place, et d’autres « moyens s’offrent aux couples pour réaliser leur projet parental : adoption, don de gamète, accueil d’embryon ».
Le CCNE[7] et l’OPECST[8] se sont eux aussi emparé de la question CRISPR. Suivront-ils l’avis troublant de l’Académie de médecine ?
[1] Biologiste de la reproduction, professeur émérite à l’université Paris Descartes et membre du Comité d’éthique de l’Inserm.
[2] Médecin, professeur d’immunologie pédiatrique et chercheur en biologie, directeur scientifique de l’Institut Imagine et titulaire de la chaire Médecine expérimentale au Collège de France.
[3] Médecin, professeur de pédiatrie et de génétique médicale et homme politique français.
[4] Art L2151-5 CSP.
[5] Art L2151-2 CSP .
[6] Art16-4 du code civil.
[7] Comité Consultatif National d’Ethique.
[8] Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques.