Avec CRISPR-Cas, le débat encore théorique sur les éventuelles dérives eugénistes du génie génétique a basculé sur un plan de « pleine réalité » (Le CRISPR, la préoccupante découverte scientifique de l’année 2015).
Cet outil qui ouvre depuis 2012 la porte à des « manipulations de l’ADN faciles, rapides, efficaces et peu coûteuses » ne cesse en effet d’interroger sur l’appréhension des espoirs transhumanistes qu’elles comportent, et l’encadrement par la société des possibles dérives.
Si en trois ans, le champ géographique de ce « couteau suisse de la génétique » s’est étendu aux laboratoires du monde entier, le champ d’expérimentation n’a de cesse de s’élargir lui aussi : après les bactéries, les végétaux, les animaux (cf. Vaincre le paludisme à l’aide de CRISPR-Cas9 : quel impact sur la biodiversité ?, CRISPR permettra-t-il de soigner la myopathie de Duchenne ?), la mince barrière qui demeure pour protéger l’embryon humain de la manipulation est mise à mal par de nombreuses équipes de chercheurs (cf. CRISPR-Cas9 : « Catastrophe éthique » ?, CRISPR : Un premier essai clinique sur l’homme prévu pour 2017).
Or, la technique balbutie « du point de vue de la sécurité et de la fiabilité d’emploi », le taux d’échec est encore très important quand il s’agit de l’être humain, avec notamment des « changements induits sur d’autres parties que celles ciblées, avec des effets secondaires que l’on ne sait pas évaluer mais souvent délétères voire mortels ».
Si l’Europe encadre encore strictement la recherche sur l’embryon humain, il n’en est pas de même dans le reste d’un monde globalisé qui tend à voir ses limites s’effacer… Et si les premières barrières éthiques risquent de tomber facilement quand on voudra justifier la manipulation par un souci humaniste de prévention de maladies graves, « dès lors, on pourra s’habituer au fait de changer notre génome, d’influer sur l’évolution de l’espèce ». Mais déjà, les manipulations possibles pour l’instant « questionnent notre humanité » et relancent le débat éthique sur l’eugénisme (cf. CRISPR : Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, responsables du cadre éthique de leur découverte ?).
Pour se défendre de cette accusation et de toute ressemblance avec les dérives eugénistes du XXe siècle, certains penseurs développent l’idée « d’un eugénisme positif » qui améliorerait « des hommes via la reproduction contrôlée mais en n’enlevant que les ‘traits négatifs’, en encourageant ceux ‘souhaitables’ ».
Mais l’inquiétante question qui se pose est celle du choix de définition de ces critères : qui décide, et à quel titre ? Les intéressés eux-mêmes ne partageant pas forcément cet avis (CRISPR-Cas9 : Qu’en disent les premiers concernés ?). Faut-il tout contrôler, tout normaliser, ou reste-t-il encore une place à protéger pour la diversité et la différence dans les mentalités humaines ?
Techniques de l’ingénieur (31/03/2016)