CRISPR Cas-9 à l’OPECST : Une tendance favorable à la recherche sur l’homme

Publié le 7 Avr, 2016

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a initié ce 7 avril une réflexion sur la technique CRISPR Cas-9.  Jean-Yves le Déaut et Catherine Procaccia ont invité plusieurs experts à s’exprimer sur cette découverte pour en saisir les enjeux et les risques, et anticiper son éventuel encadrement. Retour sur ce premier débat public national.

 

1. L’histoire de CRISPR

M. Philippe Horvath, cadre scientifique chez Danisco Dupont, a présenté un bref historique des étapes de la découverte de CRISPR Cas-9.

En 1987, une équipe japonaise découvre fortuitement CRISPR. La recherche balbutie ensuite pendant une quinzaine d’année. 

C’est le « sprint final » de 2012 d’Emmanuel Charpentier et de Jennifer Doudna, qui a été le plus remarqué. Selon Philippe Horvath, ces chercheuses ont d’une part découvert un chaînon manquant, et d’autre part, transformé un système à trois composants en un système à deux composants, plus simple à utiliser pour des applications biotechnologiques. 

 

2. Les potentielles applications de CRISPR

  • En général : inactiver, substituer, modifier les gènes

Jean-Christophe Pages, président du Haut Conseil des biotechnologies (HCB), explique qu’il est nécessaire de bien identifier les indications de CRISPR pour évaluer si cette technique peut s’insérer ou non dans le cadre réglementaire existant. Le HCB y réfléchit, comme les autres comités équivalents des pays membres. Ces travaux donneront lieu à une décision de la communauté européenne.

Le système CRISPR Cas-9 permet de faire trois types d’opérations :     

– Provoquer une cassure et observer les conséquences de la réparation, l’objectif étant d’inactiver un gène.

– Changer une séquence pour corriger une maladie en médecine, ou pour apporter une variation génétique présente dans la nature et que l’on voudrait apporter sans passer par un croisement.

– Apporter du matériel génétique exogène à la plante ou chez l’homme (bien que les applications soient plus restreintes dans ce dernier cas). 

 

Jean-Christophe Pages précise que l’utilisation de CRISPR est particulièrement aisée in vitro. Son application in vivo est, elle, très difficile car elle implique de permettre à CRISPR l’accès aux cellules.

 

  • Sur l’embryon humain : prévenir, promouvoir et surtout étudier

Pierre Jouannet[1],  rappelle que l’embryon humain se trouve au cœur du débat, depuis les essais des scientifiques chinois (cf. Chine : Des manipulations génétiques d’embryons humains avérées).  Il voit trois types d’applications éventuelles de CRISPR sur l’embryon humain :

– Prévenir la transmission à l’enfant d’une maladie monogénique. Car dans certains cas rares, précise Pierre Jouannet, le diagnostic prénatal ou le diagnostic préimplantatoire ne sont pas réalisables[2]. On pourrait alors utiliser CRISPR pour agir sur les embryons in vitro atteints. Cette option resterait exceptionnelle.

– Prévenir l’apparition de maladies communes dans lesquelles des variants génétiques peuvent jouer un rôle, comme le diabète ou la maladie d’Alzheimer… Cette approche serait « peu réaliste » pour Pierre Jouannet car la responsabilité de ces variants n’est pas bien définie et d’autres éléments interviennent dans le développement de ces maladies (environnement…). Il considère donc que « cela semble illusoire de penser que l’on pourrait améliorer un embryon en le protégeant de certaines maladies ».

– Promouvoir des traits génétiques particuliers chez l’enfant, sans que cela soit motivé médicalement. On peut s’étonner que le professeur ne détaille pas ce point-là qu’il considère comme le « plus médiatisé ».

 

Mais ces trois applications ne sont qu’éventuelles, précise le professeur, qui insiste sur l’intérêt à accorder, selon lui, à la recherche fondamentale : « Il est impensable pour l’instant d’imaginer faire naître des enfants avec cette technique ». Pourtant, bien qu’une application clinique soit pour l’heure, inenvisageable sur l’embryon humain, il conclut : « CRISPR est un outil moléculaire extraordinaire pour étudier la biologie normale et anormale des embryons humains, et à ce titre, il faut encourager cette recherche ». Ce qui ne manque pas de faire réagir André Choulika, PDG de Cellectis, industriel de l’édition du génome : « On sait que les recherches de CRISPR sur l’embryon humain ne sont pas viables ».

 

  • Sur le végétal : remplacer, performer

Enfin, la dernière partie de l’audition est consacrée à l’agriculture qui connait depuis trente ans les organismes génétiquement modifiés (OGM). En exposant la modification génétique des moustiques tigres ou encore celle du blé, les experts auditionnés font réfléchir. Eric Marois[3] par exemple n’hésite pas, au travers de la modification génétique des moustiques, à parler de « stratégie de remplacement de la population ». Yves Bertheau[4] qualifie la technique de CRISPR comme « relevant des OGM » sans occulter la réalité du « stress cellulaire » qu’implique une telle modification, tandis que Jean-Christophe Gouache[5] considère CRISPR comme « un des meilleurs leviers » pour une « agriculture performante, respectueuse de l’environnement ». Autant d’expressions qui mettent en lumière la réalité de CRISPR et ses enjeux. Comment ne pas transposer ces propos et s’inquiéter de l’application de CRISPR sur l’homme : serait-elle aussi guidée par une stratégie de remplacement de population pour une humanité génétiquement augmentée et plus performante, bien qu’au prix de stress cellulaire dont on ne mesure pas la portée ?  

     

3. Une révolution qui n’en n’est pas une ?

Souvent au cours de l’audition, André Choulaki, PDG de Cellectis, réagit vivement, manifestement exaspéré par l’engouement créé par CRISPR et l’imprécision scientifique dont la technique fait l’objet. Il rappelle que cette technique n’est pas aboutie, et bien trop incertaine. Il constate : « Nous n’avons pas attendu CRISPR pour faire du genome editing », cela fait plus de 20 ans que des « tas d’autres techniques existent » et évoluent, détaillant les milliards d’euros engagés dans ce domaine pour les années à venir. Il appelle donc au principe de précaution quant à l’application de CRISPR, et à la précision scientifique des informations utilisées. CRISPR n’est qu’une nouvelle technique de l’édition du génome, qu’il faut étudier et éprouver comme les précédentes.   

 

4. Un encouragement à l’application de CRISPR sur l’homme, quid de la Convention d’Oviedo ?

Le message général qui ressort de cette audition est manifestement un encouragement à la recherche sur CRISPR, quelques soient les risques. Jean-Claude Amesein, président du CCNE, l’affirme, donnant par là une sorte de caution morale à la technique. Il appelle à une réflexion nationale, européenne, et internationale sur les applications cliniques humaines et sur les applications sur le vivant. Il compte d’ailleurs organiser un débat public sur le sujet. Les inconnues et les risques évoqués ne semblent pas freiner les chercheurs. Jean-Louis Mandel[6] les assume : « Toute innovation humaine est potentiellement dangereuse », le principe de précaution n’a donc pour lui pas sa place dans le débat. Il considère qu’il « ne faut pas s’interdire d’utiliser CRISPR pour modifier l’embryon humain ».     

Des points de vue qui laissent perplexes quant au respect de la Convention d’Oviedo (cf. La convention d’Oviedo a 10 ans : bilan).

 

Car, comme le rappelle M. Mark Bale, Président du comité de bioéthique du Conseil de l’Europe, CRISPR sera nécessairement encadrée par la Convention d’Oviedo, dans les 29 pays signataires. Celle-ci interdit la modification du génome humain excepté pour la prévention, le diagnostic, ou la thérapie (article 13[7]). Elle interdit aussi la modification du génome de la descendance. En outre, dans son article 28, elle demande l’organisation de débat/réflexion sur les sujets biomédicaux.

 

Si Jean-Claude Amesein le prévoit pour la France, on peut s’étonner que Jennifer Merchant[8], qui expose les recommandations du comité d’éthique de l’Inserm (que Gènéthique développera dans un prochain article), explique qu’elle participe à une réflexion initiée par les Etats-Unis, l’Angleterre et la Chine. Autant de pays qui ne sont pas signataires de la Convention d’Oviedo, et qui s’illustrent comme étant plutôt permissifs. On ne peut que s’inquiéter du respect de la Convention…

 

Cette réflexion « internationale » devrait aboutir à la remise d’un rapport au comité bioéthique américain en septembre 2016. Il présentera des recommandations législatives pour encadrer CRISPR Cas-9. Il est clair que la réflexion est bien avancée et que l’initiative éventuelle du CCNE en vue d’un débat est à la traine. Jennifer Merchant annonce en même temps la prochaine réunion de ce groupe d’étude international qui se tiendra le 29 avril prochain à Paris. Un évènement qui a peut-être pressé l’OPECST à se réunir pour lancer un semblant de réflexion nationale…

 

 

[1] Professeur émérite à l’université Paris Descartes, membre de l’Académie nationale de médecine.

[2] Lorsque les parents sont porteurs d’une altération homozygote d’une pathologie grave (comme dans la maladie de Huntington) ou lorsqu’ils sont porteurs d’une altération récessive et sont homozygote dans cette altération (comme pour la mucoviscidose).

[3] Chargé de recherche à l’université de Strasbourg et à l’INSERM.

[4] Directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).

[5] Directeur des affaires internationales de Limagrain.

[6] Médecin, généticien à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC).

[7] Article 13 convention d’Oviedo : « Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance ».

[8] Professeur à l’université Paris 2 (Panthéon-Assas), politologue, membre de l’Institut universitaire de France.

 

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