Colloque : Eugénismes

Publié le 19 Nov, 2010

Un colloque sur le thème "Eugénismes" s’est déroulé mercredi 17 novembre 2010, à la Faculté de Médecine René-Descartes Paris V. Il avait pour but de réfléchir au "bien agir en médecine" à la lumière de l’histoire et de la génétique. Les intervenants y ont manifesté leur inquiétude face à l’évolution des techniques biomédicales et ont appelé à la vigilance, notamment en matière d’expérimentation sur les êtres humains et plus précisément sur les plus vulnérables d’entre eux.
    Sont intervenus le Pr Axel Kahn, président de l’Université René-Descartes Paris V ; le Pr Patrick Berche, Doyen de la Faculté de médecine René Descartes Paris V, professeur de microbiologie ; le Pr Maurice Corcos, chef du service du Département de psychiatrie de l’adolescent, Institut mutualiste Montsouris ; le Pr Jessica Zucman-Rossi, Université Paris Descartes – Unité INSERM U674.

 Le Pr Axel Kahn s’est demandé pourquoi la médecine, discipline humaniste par excellence, a si souvent été inhumaine. Il a montré les points communs aux différentes entreprises eugéniques qui ont jalonné l’histoire de la médecine depuis que celle-ci se présente comme une "connaissance arrogante". Il espérait ainsi dégager les "icônes corruptrices" ou "icônes tentatrices" qui suscitent les dérives médicales.
    Selon lui, ces "icônes" sont la passion scientifique qui aveugle le savant et une sous-estimation générale du niveau d’humanité des sujets d’expérimentation (handicapés, vieillards, condamnés à mort, immigrés, etc.) qui empêche de retenir le geste de l’expérimentateur. Il note que parallèlement, les bienfaits escomptés qui servent d’alibis à l’expérimentation médicale sont systématiquement surévalués. L’intérêt financier, enfin, est bien souvent à l’origine des expérimentations.
    Il a également noté qu’on voyait aujourd’hui apparaître une nouvelle forme d’inhumanité médicale avec l’émergence du critère éthique de "consentement éclairé de la personne". Selon lui, considérer ce principe comme le "point final" de l’éthique mène à une indifférence et un formalisme médical déshumanisants. En réalité, l’égalité de devoirs et de droits du médecin et du malade, présupposée par le consentement éclairé, n’efface pas leur différence de situation : le malade reste vulnérable ce qui implique pour le médecin un devoir de solidarité et de réciprocité.

Le Pr Patrick Berche a montré que l’expérimentation médicale dans l’histoire pouvait avoir trois buts différents : protéger, comprendre ou détruire. Il a ensuite fait une rétrospective sur différents projets d’expérimentation médicale ayant poursuivi l’un de ces trois objectifs. Parlant des projets qui avaient pour but de comprendre les maladies et leur développement, il s’est longuement attardé sur l’étude de Tuskegee. Cette étude, menée entre 1932 et 1972 en Alabama, a consisté à contaminer plusieurs centaines d’Afro-américains par la syphilis sans leur administrer aucun traitement : l’étude était censée avoir pour but d’observer si les malades syphilitiques ne se portaient pas mieux sans les traitements toxiques utilisés à l’époque.
    L’étude n’a donné aucun résultat et s’est poursuivie bien après que l’on eût découvert l’efficacité et l’inocuité de la pénicilline pour soigner la syphilis en 1947 : elle n’avait donc aucune raison d’être. Par ailleurs, les chercheurs avait mené cette expérimentation en ignorant complètement la littérature scientifique de l’époque qui faisait état, notamment, de deux études norvégiennes donnant tous les résultats nécessaires par le biais de moyens plus éthiques.  Le président Bill Clinton a présenté officiellement ses excuses aux victimes survivantes en 1997.
    Pour le Pr Berche, il faut revenir à la sagesse et la prudence hippocratique car il n’est pas recevable "d’aller jusqu’au bout de l’expérimentation".

Le Pr Maurice Corcos est parti d’une analyse sur les horreurs nazies à Auschwitz pour considérer les risques effectifs actuels des dérives biomédicales.
    Il a noté que la politique nazie à l’encontre des malades mentaux et des handicapés était une solution efficace pour une société en contexte de crise économique. Cela n’est pas sans nous rappeler, a-t-il remarqué, que nous sommes nous aussi en contexte de crise et que les malades mentaux étaient coûteux pour la société allemande comme le sont aujourd’hui pour nous les vieillards.
    Il a également mis en garde contre une médecine qui a non seulement les moyens techniques de ses ambitions, mais également la légalité pour elle : "quand on a les moyens techniques et qu’on nous dit : "vous pouvez y aller", on va très vite et très loin". Ainsi, les médecins nazis ne se sont pas contentés d’atteindre les objectifs que les politiques leur fixaient, mais ils les ont très largement dépassés.
    Enfin, quand en médecine on prend "des libertés avec l’éthique […] c’est tout l’équilibre psychique qui est bouleversé". "Quand on commet l’irréparable, on n’est plus le même", a-t-il affirmé avant d’expliquer qu’on entrait alors dans un engrenage nécessaire de surenchère continuelle pour se justifier.

Le Pr Jessica Zucman-Rossi a évoqué deux problématiques liées au dépistage et au traitement du cancer.
    Alors que le décryptage du génome permet aujourd’hui la définition d’un  risque individuel de cancer qui tend à une quasi certitude de risque, comment gérer le dépistage ?
    Par ailleurs, dans un contexte où l’on voit émerger une "médecine de riches", la question de l’eugénisme se pose en matière d’accès aux soins : qui va pouvoir bénéficier de traitements de plus en plus onéreux ?

Gènéthique 18/11/10

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