Les « bio-objets » sont « invisibles car ils sont partout devant nous », estime Céline Lafontaine, une sociologue québécoise auteur d’un ouvrage sur le sujet [1]. Le terme désigne « toute la vie produite en laboratoire », des gamètes aux embryons, des virus aux bactéries. Les « bio-objets » ont « les caractéristiques du vivant », tout en étant « de purs objets puisqu’ils vivent dans une boîte de Petri ». Ainsi, « ils peuvent être stockés, congelés, décongelés, transformés », rappelle Céline Lafontaine. Et « procurent la dangereuse illusion de maîtriser la vie, de pouvoir la créer et la refaçonner à volonté ».
L’industrie de la PMA : une fabrique de « bio-objets »
Depuis 40 ans, la fécondation in vitro est pratiquée « de manière commerciale et industrielle », en dépit de son taux de réussite : « 40% pour un premier essai ». « Tous les États ont légiféré sur cette question, comme si c’était quelque chose qui fonctionnait effectivement, pointe la sociologue. Alors que la somme des échecs et des problèmes sociaux engendrés est beaucoup plus grande que le nombre d’enfants nés d’une FIV. »
« C’est l’économie de la promesse ! » Une économie qui « se transforme en économie de l’espoir et même en économie de l’affect », masquant par là même la dimension économique, observe la sociologue.
Et « dans la logique libérale, il n’y a aucune raison de limiter une femme à l’accès aux technologies in vitro, note-t-elle. Les raisons d’interdire apparaissent si on change de perspective et que l’on s’intéresse à l’humain comme un être vivant avant tout. »
Faire des promesses pour obtenir des fonds
« Les chercheurs en médecine régénératrice (médecine des cellules souches) ou en bio-impression savent que pour obtenir des subventions, il est nécessaire de faire des promesses », assure Céline Lafontaine. Alors les scientifiques font des promesses « pour capter des fonds » : « c’est tout le fonctionnement de l’économie du vivant ». Et « nous avons l’impression, à lire les journaux, que nous allons pouvoir guérir toutes les maladies ».
« Aujourd’hui, on estime que l’on peut modifier le vivant sans frais »
Pour Céline Lafontaine, l’objectif des laboratoires « n’est pas de rendre les gens tout-puissants ». Cependant, « ils défendent plutôt une vision du vivant comme machine à améliorer, vision que l’on retrouve dans la société de manière générale, juge-t-elle. Ce sont donc des modèles très réductionnistes où l’on peut modifier à volonté le corps, et ce, sans s’interroger sur les conséquences biologiques et sur la modification de notre rapport au monde et à l’environnement. Aujourd’hui, on estime que l’on peut modifier le vivant sans frais. »
Et l’encadrement mis en place est insuffisant car il « ne questionne pas le fond du projet, il justifie la chose, il rassure la population ». « Aucune réflexion bioéthique ne porte véritablement sur le rapport au vivant et à l’environnement induit par la prolifération de ces bio-objets », déplore Céline Lafontaine. Pourtant, « la pandémie est une nouvelle preuve qu’on ne maîtrise pas le vivant ».
[1] Céline Lafontaine, Bio-objets. Les nouvelles frontières du vivant, éditions du Seuil
Sources : L’ADN, Marine Protais (13/04/2021) ; Marianne, Rachel Binas (13/04/2021) – Photo : iStock