Après l’annonce de la naissance de jumelles « issues d’embryons génétiquement modifiés par CRISPR-Cas9 », Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay et directeur de l’Espace régional de réflexion éthique d’Île-de-France, regrette cet « échec de l’éthique, à l’heure où les sociétés, comme la recherche scientifique en ont plus que jamais besoin ».
Alors que la France est en passe de réviser des lois de bioéthique, le professeur constate, confrontés à « l’épreuve de la réalité », la fragilité « des grands principes qu’on cherche à affirmer ». L’expérience menée en Chine par l’équipe de He Jiankui s’apparente pour lui à « de la science un peu ‘low-cost’ et ‘low-éthique’ », la seule motivation étant « d’être la première à faire naître des bébés génétiquement modifiés ».
Pour lui, une des conséquences directe « de ces transgressions » consiste en « une forme de défiance et d’inquiétude sociétale à l’égard de ce que la science peut ». D’autant que « cette expérimentation ne répond à aucune nécessité éthique » : d’abord parce qu’on sait « éviter la transmission du VIH à la naissance » pour des couples discordants », que l’expérience « pose la question de la proportionnalité d’un geste qui ne doit pas uniquement être considéré du point de vue d’une finalité individualiste » et qu’elle a été mise en œuvre « en dépit des conséquences néfastes que cela pourrait avoir sur plusieurs générations ».
Face à ces débordements, Emmanuel Hirsch souligne la « vraie question », celle de la régulation. Mais « pour qu’il y ait régulation, il faut qu’il y ait une légitimité. Quelle est l’autorité morale aujourd’hui qui peut se prononcer par rapport à ça ? ». Il estime qu’il faudrait être « plus affirmatif de principes et d’interdits, même si le mot choque » et veiller à ce que les « jeunes chercheurs acquièrent dès le départ une capacité de questionnement », afin « d’éviter des dérives qui deviennent incontrôlables ».
Science et avenir, Hugo Jalinière (30/11/2018)