Jeudi 24 janvier, le grand débat « Allons plus loin » de Public Sénat a rassemblé Patrice Obert, président de l’association les Poissons roses, Terence Ericson, neurobiologiste à l’Institut Curie et porte-parole de l’association française transhumaniste, Lucie Pacherie, juriste à l’association Jérôme Lejeune, et Corinne Imbert sénatrice LR de Charente maritime et rapporteur de la commission spéciale du projet de loi bioéthique.
Point de départ du débat : la tribune publiée dans le journal le Monde intitulée Loi de bioéthique : « Nous ne voulons pas d’une humanité génétiquement modifiée ! » . Cette tribune a été signée par cinq personnalités dont José Bové et Jacques Testart (cf. Loi de bioéthique : « Refuser toute modification génétique des embryons humains ou leur sélection génétique massive). Pour Terence Ericson la question est « est-ce souhaitable ou pas ? ». Et il répond oui. Avec l’objectif que « l’humain biologique » que l’on est à la naissance puisse devenir « un projet ouvert ». Patrice Obert, à l’inverse, pointe deux craintes essentielles : l’eugénisme, « avoir l’enfant le meilleur » mais « quels sont les critères ? », et « la diminution de la diversité ». Lucie Pacherie, elle aussi, partage les craintes des signataires de la tribune : « En autorisant la création d’embryons transgéniques, comme le projet de loi le fait, on porte atteinte à un interdit fondamental, international – et français, qui jusqu’à présent était absolu : l’interdiction de transmettre une modification génétique à la descendance, de transformer la descendance, l’humanité ». Elle l’affirme : « On franchit vraiment une ligne rouge. C’est très clair ». Et avec une technique, CRISPR-Cas9, qu’on ne maîtrise pas pour les végétaux et les animaux. Alors « quelles conséquences » interroge-t-elle, quand on veut maintenant l’utiliser sur l’humain en dépit de tout principe de précaution ? Technique qui plus est appliquée sur l’embryon humain, pointe Lucie Pacherie, ce qui va le modifier dans sa totalité et « de manière irréversible ».
Florence Lassarade, sénatrice LR de la Gironde qui a déposé un amendement dans le cadre du projet de loi bioéthique pour encadrer les recherches sur les grands primates et les chimères, explique être soucieuse du « bien-être animal ». Son intervention suscite des réactions. Lucie Pacherie reconnaît que « c’est une bonne cause », mais souligne « quand on voit que l’on autorise des expérimentations à enjeu majeur sur notre propre espèce (…) cela m’interroge sur notre capacité collective à poser des limites et protéger notre humanité ». Et Patrice Obert de faire un parallèle avec « la forêt qui brûle en Australie, symbole de la mainmise de l’homme sur la nature qui a complètement bouleversé les équilibres » : « Tandis que la forêt brule en Australie, nous, nous essayons de manipuler le vivant ». Une « incohérence implacable ».
Pour justifier la recherche sur l’embryon humain, Corinne Imbert veut distinguer entre les embryons « faisant l’objet d’un projet de grossesse » pour lesquels « aucune modification du génome n’est autorisée » par le texte en son état actuel, et les embryons « surnuméraires », pour lesquels il faut « encadrer la recherche ». Pour Lucie Pacherie, « l’argument de la non implantation d’un embryon modifié génétiquement est illusoire, une digue de papier ». Pointant du doigt la Chine qui a fait naitre des jumelles génétiquement modifiées (cf. La Chine condamne à trois ans de prison le chercheur à l’origine des “jumelles OGM”), la juriste, estime que cet argument ne vise qu’à « endormir l’opinion publique ». On « prend en fait la même voie » puisque bien sûr les expérimentations en laboratoire ont « vocation à s’appliquer en clinique ». Patrice Obert l’annonce : « Toutes les expérimentations possibles, on connait les scientifiques, seront tentées », et il plaide pour un encadrement de la recherche au niveau international.
Public Sénat (24/01/2020)