Interrogés par le Quotidien du Médecin, six anthropologues[1] sont formels : « Rien ne sera plus jamais comme avant ». « La crise que nous vivons pourrait changer durablement le rapport de nos sociétés à la vie, à la mort, à la santé ou à notre environnement. » Et « la relation médecins-patients devrait en sortir bouleversée ».
Pour Didier Fassin, « le confinement s’est appuyé sur la biolégitimité, c’est-à-dire la reconnaissance du simple fait de vivre comme bien suprême ». « C’est une évolution politique et sociale majeure, estime-t-il, un véritable renversement ». Et, « comme à chaque catastrophe, l’urgence a écrasé l’humanisation », constate Alain Epelboin.
Dans un même temps, le rapport au corps a changé. « Le corps est devenu le lieu de tous les soupçons et de tous les dangers, le visible exposé à l’invisible, il focalise tous les malheurs du monde, la maladie, la mort », analyse David Lebreton. Mais en même temps, il est « survalorisé, vital, il doit faire l’objet de toutes les protections, avec l’instauration des mesures barrières ». Une évolution qui se répercute dans la pratique médicale. « Le médecin ne touche plus le patient » et la télémédecine « prive la consultation de son émotion et de sa gravité ». Au-delà, « le fantasme de la médecine toute puissante est percuté de plein fouet » et « la cybogisation a vécu », selon l’anthropologue qui estime que « le jour d’après verra une renaissance, des moments d’émerveillement devant des choses évidentes et sans prix, l’ordinaire quotidien deviendra extraordinaire. Ce sera un retour au monde et à la vie ».
[1] Didier Fassin, David Lebreton, Sylvie Fainzang, Soraya Boudia, Alain Epelboin, et Frédéric Keck.
Le Quotidien du Médecin (19/05/2020)