Ce recueil passionnant, dirigé par Elisabeth Sledziewski avec la collaboration d’Agnès Guy, réunit philosophes, historiens, médecins, psychologues, témoins et travailleurs sociaux, autour d’un phénomène affligeant : la persistance d’un taux élevé d’IVG dans notre pays (environ 1 conception sur 4 et 1 enfant pour 3 mis au monde). Comment expliquer un tel échec, dans une société de haut développement sanitaire ? Que faire pour y remédier ?
Les contributeurs s’expriment à partir d’expériences et de convictions différentes, les uns admettant, les autres refusant de voir dans l’avortement un droit. Mais tous se déclarent alarmés par la fréquence du recours à l’IVG et soulignent l’urgence d’une meilleure prévention de l’avortement. Leur rencontre démontre que, contrairement à ce qu’affirment les “ivégistes”, le débat de principe sur ce grave sujet est loin d’être clos. Il a même connu en France, depuis l’allongement du délai légal de l’IVG en 2001, un rebondissement dont ce recueil est le témoin et qui lui a donné l’occasion de s’enrichir de la confrontation de sensibilités diverses.
“L’ivégisme”
Pour la philosophe Elisabeth Sledziewski, les conditions d’une prise de conscience des dangers de “l’ivégisme” sont réunies aujourd’hui. L’auteur appelle “ivégisme” “l’idéologie qui exalte l’avortement volontaire comme un droit fondamental des femmes et fait de sa conquête législative un enjeu décisif de leur émancipation. (…) Il voit dans la liberté d’avorter, l’emblème de tous les combats contre la société sexiste.” L’affirmation et le renforcement de ce droit sont pour les “ivégistes” le critère fondamental de légitimité d’un Etat et la preuve de sa capacité à s’ouvrir au progrès et à la modernité.
“Selon la vulgate “ivégiste”, l’exercice du droit à l’avortement volontaire est normalement inscrit dans le destin de toute femme.” Il ne pose évidemment aucun problème éthique. L’IVG est “une leçon de liberté, de vie, d’humanité.”
“L’idéologie” ivégiste” s’est dotée en trente ans d’un argumentaire offensif très virulent (…). Son discours dénonce les objections éthiques “en les réduisant à une réaction fanatique, obscurantiste et mysogine”.
Or pour l’auteur toutes les bonnes volontés doivent être mises à contribution pour lutter contre “une banalisation dont on ne peut s’accommoder” et pour refuser le fatalisme d’un triomphe de la “culture Perruche”, qui sape les fondements de l’humanisme contemporain. Il est urgent de prendre conscience de la nécessité de “soulever la lourde chape de conformisme “ivégiste” et d’affronter les choses comme elles sont, en prenant la mesure de leur complexité“.
L’auteur regrette aussi les modèles “ringards” de la féminité attachés à “l’ivégisme”. La valeur accordée par le féminisme à l’IVG exclue la maternité de la féminité et s’aligne sur un modèle incroyablement viril. La liberté de la femme de “plaquer son fœtus” comme autrefois le séducteur plaquait la femme qu’il avait engrossée. Belle victoire de la femme… Travaillons à des modèles féministes plus riches et moins ringards, propose l’auteur.
Des chiffres fantaisistes
Gérard-François Dumont dans “Nombre véritable des avortements” et Sylvie Caphon dans “Faute de gant d’amour” évoque les vives polémiques entourant le nombre d’IVG avant sa légalisation : estimations des plus fantaisistes avancées par les stratèges. On a pu lire ainsi qu’après la seconde Guerre mondiale de 800 000 à 1 million d’IVG en France se pratiquaient chaque année… Or pour l’IVG comme pour tout phénomène social, on ne doit pas déroger à la vérité des chiffres scientifiquement établis. G. F. Dumont, montre que les estimations officielles élaborées par l’INED dans les années 60-70 se situaient très en deçà des chiffres fantasmagoriques des medias et des hommes politiques et qu’ils étaient encore excessifs. Aujourd’hui malgré les affirmations surestimant le nombre d’IVG en France avant la loi et sous estimant leur nombre après la loi, les faits sont têtus : le nombre d’avortements est plus élevé depuis la loi qu’auparavant.
IVG : un moindre mal ?
Est-ce tragique ? Sans doute, répond Jacques Milliez. “L’avortement heurte douloureusement l’instinct de maternité, le plus profond de la féminité. Chaque fois il laisse une cicatrice, un vide, une blessure intime qui fait souffrir rien que d’en reparler.” Mais d’affirmer aussi que, si l’avortement est une transgression, pour le médecin, la transgression est peut-être un devoir.
Liberté de la femme, droit du foetus
Israël Nisand considérant que les droits du fœtus s’amplifient avec l’âge, estime que l’allongement du délai légal de l’IVG a rouvert le débat du statut de l’embryon et du fœtus. (cf. sur les droits de l’embryon, la contribution de V. Bourguet). Il montre que l’allongement n’est pas une solution car il ne fait que repousser de quelques jours la problématique du délai et interfère avec les délais d’interruption de grossesse pour cause médicale (possible jusqu’au dernier jour de grossesse). Il suggère pour résoudre cette difficulté, une prise en charge collégiale de l’IVG au-delà du délai légal. Afin de protéger les droits du fœtus qui se sont accrus au long des semaines de gestation, les parents ne devraient plus décider seuls et seraient aidés et conseillés par des médecins et des représentantes des droits des femmes.
(Contributions de B. Avon, M. Beccaria, V. Bourguet, S. Chaperon, C. Chevallier, F. Couret, J-M. Delassus, M. Delcroix et M. Vincent, F-G. Dumont, F. Goumaz, J. Guibert, F. Guirriec, H. Kafé et N. Brouard, J. Kotoujansky, C. Le Batard, P. Lecorps, D. Marcilhacy, J. Milliez, I. Nisand, R. Prédal, D. Rampon, E. G. Sledziewski, S. Treiner, M. Winckler).
220 000 avortements par an : que faire ? Panoramiques, n° 60, 3e trim 2002 ; 207 pp Éd. Corlet: BP 86 – 14110 Condé-sur-Noireau