Vers « une obstination déraisonnable économiquement dérégulée » et un « service public » de la mort ?

26 Juin, 2023

« Le débat national sur la fin de vie a laissé peu de place à la réflexion sur les réalités économiques et financières de notre politique de soins. » C’est le constat -et le regret- exprimé par deux médecins et un chargé d’enseignement à l’AP-HP [1] dans une tribune publiée par le journal Le Monde.

Des « joutes oratoires » sans « mise en perspective »

Les signataires de la tribune dénoncent les « joutes oratoires sur la conquête de nouveaux droits individuels » qui se sont tenues au détriment du fait de « penser collectivement notre organisation de santé et son coût ». Ainsi, « les travaux de la convention citoyenne, la mission d’évaluation de l’Assemblée nationale ou l’avis de la commission du Conseil économique, social et environnemental n’ont jamais mis en perspective la problématique de la fin de vie avec les choix de politique de santé de notre pays », pointent-ils (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie ; Un rapport orienté vers l’« aide active à mourir » ?; Fin de vie : nouvel avis du CESE en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté).

Seul constat « sans grande originalité » : l’insuffisance de l’offre de soins palliatifs identifiée depuis 15 ans. « Mais il est vrai que le législateur a la fâcheuse tendance à considérer sa mission accomplie une fois le droit consacré dans un texte », ironisent Alexis Burnod, Yves-Marie Doublet et Louis Puybasset.

Une réflexion à mener autour des dépenses de la fin de vie

« Selon le rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale, les dépenses de l’Assurance-maladie s’élevaient à 245 milliards d’euros en 2022 », indiquent les signataires. « Six milliards d’euros seraient dépensés pendant la période de la fin de vie, dont la moitié dans le dernier mois ». Et « parmi ces dépenses figurent les médicaments et dispositifs dits « onéreux » », précisent-ils. Or « une partie de ces prescriptions relève de l’obstination déraisonnable en raison d’une insuffisance de concertation réfléchie sur la pertinence de leur indication ».

« Les dépenses de ces traitements onéreux « curatifs » ont augmenté de 36,7 % depuis 2015, soit trois fois plus que l’ensemble de la consommation des soins hospitaliers sur la même période », soulignent Alexis Burnod, Yves-Marie Doublet et Louis Puybasset. Des dépenses qui « éclipsent complètement celles, nécessaires, liées au soulagement des symptômes et à la logistique de l’aide à l’autonomie que requiert toute personne fragilisée par la maladie, la vieillesse ou le handicap », regrettent-ils, appelant à réguler « cette course sans fin », afin de « permettre une prise en charge plus adaptée et raisonnable de la personne », et d’« alimenter un fonds de financement de soins palliatifs ».

Le « choix collectif » d’une société prise dans des « contradictions » économiques « qu’elle ignore »

« Le débat sur la fin de vie n’est pas uniquement un choix de liberté individuelle, rappellent les signataires de la tribune. C’est aussi le choix collectif d’une société prise dans des contradictions éthiques, souvent rappelées, mais également économiques qu’elle ignore. »

La légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ne mettrait pas un terme à l’augmentation des traitements « onéreux « curatifs » », anticipent Alexis Burnod, Yves-Marie Doublet et Louis Puybasset. Mais « l’exercice de la médecine risquerait alors d’être ramené à un choix binaire entre une obstination déraisonnable économiquement dérégulée et la satisfaction de la demande de mort de patients érigée en service public », préviennent-ils.

Dès lors, « entre les intérêts économiques et la loi, il n’y aurait plus de place pour une médecine dont la vocation fondamentale est de penser au quotidien le soin dans sa singularité », alertent les signataires. « Les soignants ne rempliraient plus qu’une fonction de prestataires de services renforçant la maltraitance du système médical ». Et « comme observé dans certains pays ayant légalisé l’euthanasie et le suicide assisté, le déclassement de l’offre palliative serait en marche ». Une offre devenue « une option de second choix par rapport à la mort administrée, devenue la norme ».

 

[1] Alexis Burnod est chef du service de soins palliatifs, Institut Curie, site de Paris ; Yves-Marie Doublet est chargé d’enseignement à l’espace éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ; Louis Puybasset est chef du département d’anesthésie-réanimation de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Sorbonne-Université

Source : Le Monde, Alexis Burnod, Yves-Marie Doublet et Louis Puybasset (22/06/2023)

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