Transhumanisme au FEB : Un homme du côté du plus, pas du côté du mieux

Publié le 23 Fév, 2017

Dans sa conférence, Humain, post-humain : l’avenir aura-t-il encore besoin de nous ?, Jean-Michel Besnier réfléchit : Que risque de causer le transhumanisme ? Faire de nous, dans l’avenir, des post-humains, des « hommes-machines » ?

 

Jean-Michel Besnier (1) réfléchit à l’idée, aujourd’hui présente, que l’avenir devrait laisser la place aux machines. Il n’accepte pas qu’il faille éradiquer la souffrance, la maladie, le vieillissement et la mort. Bref, notre finitude. Or, c’est l’idée-phare du transhumanisme.

 

Pour lui, le transhumanisme -comme le posthumanisme-, n’est pas une idéologie, mais un courant d’opinion – d’où son très large spectre-, qui pense que sciences et techniques vont réaliser les aspirations de l’homme. Si le transhumanisme était une idéologie, il aurait des maîtres penseurs bien installés, mais ce n’est pas le cas. Il est insidieux et divers.

 

Quel monde prépare-t-on, se demande-t-il ? Le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley ? Hélas, il y a toutes les raisons de le redouter. Dans ce livre, la pilule du bonheur est quelque chose de très parlant. Nous sommes sortis des totalitarismes du XXe siècle en disant : « Plus jamais ça ! » Mais tous les jours, on nous promet monts et merveilles, si nous modifions l’homme.

 

Serions-nous fatigués d’être ce que nous sommes ? Déprimés ? La dépression est la marque de notre siècle : souffrance au travail, sentiment d’impuissance, face à nos machines hyper-puissantes. Il faut donc modifier l’espèce humaine pour être à la mesure des machines que nous inventons. Nous passons notre temps à inventer des machines autonomes et nous sommes asservis. Et à cause de ce mal-être, des gens veulent « l’homme augmenté ».

 

« Est-ce que l’avenir aura encore besoin de nous ? ». L’avenir, jadis, a-t-il eu besoin de nous, commente-t-il ? On l’a cru avec ce qu’on a appelé la « modernité », ce mouvement qui commence, grosso modo, au XVIIe siècle. On l’a cru avec Galilée, Descartes, Condorcet, avec la révolution industrielle, au XIXe siècle. On a cru, à un moment donné, que nous étions aux commandes et que nous pouvions dicter à l’avenir ce que nous voulions. On a cru, pendant longtemps, que l’avenir avait besoin de nous, qu’il dépendait même de nous, de notre détermination. Puis, il y a eu des bugs, des ratés, la Guerre. Et on s’est dit : « A quoi ça sert, la science et la technique ? A faire la guerre ! » et les choses sont allées en empirant. Nous avons cédé à l’« aquabonisme ». Avec ce sentiment qu’on n’était plus aux commandes, que quelque chose nous échappait. Et qu’au mieux, on était en roue libre, qu’au pire, on allait dans le mur libre (cf. Transhumanisme : Symptôme d’une décadence ou remède ?).

 

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est en passe de tuer les être humains. La médecine connectée, qui utilisera de plus en plus des objets dits « intelligents », devrait permettre de prédire nos maladies et de mieux nous soigner (cf. Forum européen de bioéthique : Big data et santé : le docteur 4.0). Mais elle a un côté terrifiant, car elle risque de développer chez chacun une hypocondrie, c’est-à-dire une angoisse permanente sur notre santé. Tandis que la relation médecin-patient disparaît de plus en plus, poursuit-il. C’est une médecine qui vous mécanise et vous animalise de plus en plus. Mais si ça vous permet de vivre 10 ans de plus ! C’est l’idée que la vie humaine, ce n’est que des mécanismes biologiques. Or, elle est bien plus que ça.

 

Il y a eu l’effondrement des idéologies qui nous promettaient un avenir radieux. L’esprit de sacrifice disparaît. Nous sommes convaincus que nos enfants vivront moins bien que nous. Et ça produit souvent le « carpe diem », l’idée qu’il faut profiter au jour le jour.

 

Les soixante-huitards ont colporté le transhumanisme, parfois sans le vouloir. Les communautés hippies ont aidé à penser les outils informatiques comme éléments de convivialité. Mais ils vivaient dans la peur de la bombe atomique et ne se projetaient pas dans l’avenir. D’où l’effondrement du sens du projet et un attachement presque animal au présent.

 

Dans l’esprit de beaucoup de transhumanistes, il y a l’idée qu’il faudra quitter la planète, la galaxie, émigrer ailleurs. A l’origine de cette idée, les extropiens, des transhumanistes qui entendent inverser la trajectoire qui conduit notre univers vers son extinction ! Les transhumanistes envisagent  quantité de solutions extrêmement déjantées, mais prises en compte dans les programmes de recherche : par exemple, dévier la terre de son axe par rapport au soleil, pour stopper le réchauffement climatique.

 

On veut faire de l’homme, augmenté avec les technologies, un être qui verra la nuit, courra plus vite avec des exosquelettes, mémorisera davantage, un homme toujours du côté du plus, mais pas du côté du mieux. On parle d’un homme « augmenté », pas d’un homme « amélioré ». Cet homme augmenté saura répondre aux sollicitations d’un monde qui veut toujours plus de performances, mais ne sera pas un homme aux conversations meilleures. « Plus on se laissera asservir par des machines, plus on perdra l’initiative sur soi-même, conclut-il. On deviendra un homme gros, gras, sans colonne vertébrale, couché la plupart du temps ! »

 

(1) Jean-Michel Besnier : professeur émérite de philosophie à l’Université de Paris IV-Sorbonne, responsable du Pôle de recherche « Santé Connectée et Humain Augmentée » à l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS ; Animation : Nadia Aubin, directrice, co-fondatrice du Forum Européen de Bioéthique.

 

 

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