Jusqu’où peut aller la médecine prédictive ? Aux États-Unis, la société 23andMe vient d’obtenir le droit de commercialiser, via Internet et sans ordonnance, des tests de prédisposition au cancer du sein. Une pratique pour l’instant interdite en France, mais qui inquiète les généticiens. « Des gens risquent de se retrouver sans aucun accompagnement face à des informations très dures à décrypter », prévient la professeure Dominique Stoppa-Lyonnet, responsable du service de génétique de l’Institut Curie à Paris.
En France, les tests génétiques ne sont délivrés que dans des consultations spécialisées. Un médecin peut les prescrire dans le cas de familles à risque et pour certaines maladies. « Mais dans tous les cas de figure, on donne à la patiente des solutions pour agir. Et cette dimension est cruciale. Un test génétique pour une maladie grave n’est utile que si on peut prévenir ou traiter la maladie. S’il n’y a rien à faire, ce n’est pas éthique de proposer le test», explique le professeur Pascal Pujol du CHU de Montpellier, président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée.
En France, deux tendances s’affrontent sur le sujet. « La première plaide pour une certaine autonomie en revendiquant le droit d’avoir accès à des informations, même désagréables, sans avoir à passer par une médecine dénoncée comme paternaliste » indique le professeur Pujol, qui appartient à l’autre courant. Celui-ci recommande la prudence. Ségolène Aymé, généticienne et fondatrice du portail Orphanet sur les maladies rares précise : « Dans beaucoup de maladies, les gènes ciblés par ces tests ne jouent qu’un rôle limité parmi de nombreux autres facteurs, notamment environnementaux. Cela n’a aucun intérêt de savoir que l’on a 5 ou 10 % de risque d’être un jour hypertendu. Si vous voulez avoir un vrai pouvoir sur votre santé, il vaut mieux ne pas faire de test. Et arrêter de fumer tout en mangeant plus sainement. »
En outre, une récente étude publiée dans la revue Genetics in Medicine montre que les résultats de ces tests génétiques à domicile (DTC pour direct-to-consumer) ne sont pas toujours précis et peuvent entrainer des erreurs d’interprétation. Les chercheurs ont découvert que deux variantes sur cinq (40%) notées dans les données brutes du DTC étaient incorrectement rapportées et ne pouvaient pas être vérifiées par d’autres tests de laboratoire de diagnostic. Dans huit cas, les variantes présentes étaient mal comprises par les services d’interprétation de tierces parties.
« Un taux aussi élevé de faux positifs dans cette étude particulière était inattendu », explique Tandy-Connor, responsable de l’étude chez Ambry Genetics Corp aux États-Unis.
Aussi, elle estime que la confirmation avec un deuxième test est souhaitable, mais rarement envisagée. Pour la chercheuse : “Bien que les résultats du DTC puissent mener à des changements sains de mode de vie ou de régime alimentaire, ils peuvent également entraîner des émotions injustifiées, notamment une anxiété lorsqu’une personne obtient des résultats imprévus, des informations inexactes ou une déception lorsqu’il manque une analyse diagnostique complète”.
Medical Press (22/3/2018), La Croix (23/03/2018)