Respect de l’embryon humain : une victoire juridique mais un avenir qui interroge

Publié le 30 Juin, 2012

En France, la législation pose un principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires. Ce n’est qu’à titre dérogatoire que l’Agence de la biomédecine (ABM) peut autoriser ce type de recherche. Or, le 10 mai 2012, à la demande de la Fondation Jérôme Lejeune, la cour administrative d’appel (CAA) de Paris a annulé, en raison de son illégalité, une décision prise par l’ABM, le 20 juin 2008, autorisant un protocole de recherche à partir de cellules souches embryonnaires humaines. Cette décision juridique, reconnaissant l’importance de la protection de l’embryon humain, contraste avec le nouvel échiquier politique qui annonce de très prochaines menaces.

 

L’arrêt du 10 mai : une victoire sur le plan juridique

 

La portée majeure de l’arrêt rendu par la CAA mérite d’être soulignée puisque les juges ont fondé leur décision sur une argumentation au fond, une argumentation scientifique (1).
La loi de bioéthique de 2004, en vigueur en 2008, interdit par principe la recherche sur les cellules souches embryonnaires sauf dérogation, sous réserve notamment qu’il soit impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une méthode ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches ; autrement dit, sous réserve qu’il n’existe pas de méthode alternative d’efficacité comparable.
Le protocole de recherche, autorisé par l’ABM, avait pour finalité la modélisation d’une forme de myopathie, la dystrophie musculaire facioscapulo-humérale (FHS), par l’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines porteuses de la mutation responsable de la pathologie. Or, l’ABM, qui avait obligation de motiver sa décision (Article L. 2151-5 IV, du Code de la santé publique, issu de la loi de bioéthique du 6 août 2004), n’a pas apporté la preuve que ces recherches ne pouvaient pas être menées selon une méthode alternative d’efficacité comparable. Et pour cause : celles-ci pouvaient également être réalisées en utilisant des cellules souches adultes reprogrammées (cellules iPS). 
En outre, l’article L. 2151-5, issu de la loi de bioéthique de 2004, précise que la recherche sur les cellules souches embryonnaires ne peut être autorisée que si celle-ci est susceptible de permettre des progrès thérapeutiques majeurs. Or, la CAA relève que, sur les deux experts désignés par le directeur de l’ABM, l’un a émis de sérieuses réserves quant à l’existence de tels progrès.   
En conséquence, la cour d’appel a conclu à l’annulation de la décision d’autorisation de l’ABM en raison de son illégalité.

 

Le nouvel échiquier politique : une menace pour l’embryon humain

 

Au cours de la campagne présidentielle, François Hollande a annoncé qu’il modifiera la loi de bioéthique de 2011 afin d’autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Peu de temps après son élection, un sénateur socialiste a concrétisé la promesse du Président de la République en déposant une proposition de loi, le 1er juin 2012.           
Pour François Hollande, “aucune raison sérieuse” ne s’oppose à cette autorisation de principe. Or, c’est bien un principe fondamental qui est bafoué : celui du respect de l’être humain. En effet, l’article 16 du Code civil dispose que “la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie”. En autorisant la recherche sur l’embryon humain, le Président de la République souhaite pallier le retard que la France aurait pris sur d’autres pays. Or, aucun pays ayant autorisé la recherche sur l’embryon depuis plusieurs dizaines d’années (par exemple la Grande Bretagne) n’est en avance sur la France, qui dès lors, ne peut pas être en retard. Certains considèrent même qu’avoir fait le choix politique en 2004 de développer la recherche embryonnaire a justement conduit la France à se faire distancer en matière de recherche sur les cellules souches non embryonnaires (iPS, cellules souches adultes, cellules souches de sang de cordon), dont certaines ont déjà apporté la preuve de leur potentiel thérapeutique.         
François Hollande a également précisé que limiter la recherche embryonnaire revient à “porter atteinte à la liberté de la recherche sans réelle justification“. Cependant, la liberté de la recherche ne peut être absolue et doit par conséquent être encadrée, comme c’est le cas pour toute activité humaine. Accorder une liberté absolue à la recherche conduirait inévitablement à favoriser des intérêts économiques et financiers au détriment de la protection de l’embryon : la réalité est que l’embryon humain est un enjeu économique important pour l’industrie pharmaceutique. Mais sur quel fondement l’activité scientifique pourrait-elle s’affranchir du principe garantissant le respect de tout être humain dès le commencement de sa vie ?

Pour François Hollande, “des limites sont nécessaires” afin d’éviter les dérives auxquelles peut conduire la recherche sur l’embryon humain. Or, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 10 mai 2012 démontre que, même sous un régime d’interdiction avec dérogations, la recherche sur l’embryon a déjà généré des dérives. Comment alors croire que l’absence de dérives pourra être garantie avec la mise en place d’un régime d’autorisation de principe, même strictement encadré ?

 

(1)Considérant […] [que] les recherches […] pouvaient également être poursuivies en utilisant, à partir de cellules d’épidermes prélevées sur des patients porteurs de la pathologie, des cellules souches adultes reprogrammées (iPS) présentant les mêmes caractéristiques en termes de morphologie, prolifération et pluripotence que les cellules souches embryonnaires humaines(CSEh). […] Que par suite […] la décision attaquée est intervenue en méconnaissance de l’article L2151-5 du Code de la santé publique”.

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