Rapport du CCNE sur les Etats Généraux de la bioéthique : quels enjeux pour la prochaine loi ?

Publié le 19 Juin, 2018

Des valeurs forces, des positions divergentes, des remises en question, les conclusions des débats des Etats généraux de la bioéthique invitent à une réflexion en dehors des sentiers battus.

Le CCNE[1] publiait le 5 juin son rapport de synthèse des quatre mois de débats[2] qui ont eu lieu dans le cadre des Etats généraux de la bioéthique. Ce n’est pas un avis du CCNE est-il précisé mais « la restitution synthétique de ce qui a été entendu et lu au cours de cette consultation ». Il doit donner au gouvernement des éléments en vue de la rédaction du projet de révision de la loi de bioéthique de 2011.

Beaucoup de bruit pour rien ?

Dès l’abord, le professeur Jean-François Delfraissy, Président du CCNE, précise que le contenu de ce rapport « n’est pas la vision des français mais celle de ceux qui ont participé aux Etats généraux », qu’elle n’est pas « représentative » des opinions. Pourquoi ? Elle aurait été portée par des ‘militants’ qui défendaient leur cause. Ainsi, malgré la méthode mise en place et les flous qui ont entouré certains aspects de la consultation (cf. Loi de bioéthique : l’objectivité du rapport du CCNE en question), les résultats seraient-ils trop éloignés de ceux qui étaient escomptés ? Remettent-ils finalement en cause les pré-projets de la loi qui doit être déposée à l’automne au Parlement pour être discutée ? Dans cette mesure, fallait-il lancer une telle entreprise, susciter une mobilisation massive dont le CCNE s’est félicité, pour ensuite se charger de la discréditer ?

Il est par ailleurs fort dommage que les arguments aient tous été présentés comme ayant pesé de façon identique dans les débats. Pourtant, certains ont pu fédérer les opinions et dans des directions opposées à celles véhiculées par une « culture du sondage », où seuls un petit millier de personnes, soigneusement triées, est chargé de se prononcer au nom de tous les citoyens.

D’un point de vue plus positif, Jean-François Delfraissy a souligné les valeurs consensuelles d’une « éthique à la française » qui ont émergées, basée sur le respect de l’autonomie et sur la non marchandisation du corps. Il est probable cependant que certaines de ces « valeurs », la dignité par exemple, recouvrent des réalités différentes selon les interventions.

Au long des débats, le droit a été interpellé, explique Karine Lefeuvre, professeur à l’EHESP, et membre du CCNE : jusqu’où doit-il s’adapter aux nouvelles technologies ? Aux découvertes scientifiques ? Parallèlement, les principes fondamentaux des libertés individuelles posent la question des droits : consentement éclairé, droit à une vie familiale, au respect de sa dignité… et de leurs limites. Toujours repoussées.

Quel statut pour l’embryon ?

Parmi les sujets évoqués, se trouve celui de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Le rapport note que « les positions exprimées restent très opposées, aussi bien sur le site web que lors des auditions des associations ou des courants de pensée ». C’est « le principe même de l’autorisation de ces recherches » qui a été discuté. En la matière, « la question centrale est [celle du] statut que l’on donne à l’embryon : si l’embryon peut être qualifié d’être humain dès la fécondation, sa destruction n’est pas envisageable, serait-ce pour une recherche ayant une finalité médicale susceptible d’entraîner un bénéfice thérapeutique ». Dans ce domaine qui appartient traditionnellement au périmètre des lois de bioéthique, c’est bien la première question éthique. C’est aussi celle que les chercheurs souhaitent contourner en demandant que « la recherche sur l’embryon et la recherche sur les cellules souches embryonnaires » soient dissociées, arguant que ces dernières utilisent des lignées cellulaires. Pour eux, si, à l’origine de ces lignées, il y a bien destruction d’un embryon, les multiplications de cellules obtenues justifieraient que leur provenance soit oubliée. Pourtant le problème reste entier. Et il est d’autant plus regrettable que des alternatives existent ! Les recherches à partir de cellules souches iPS, c’est-à-dire de cellules adultes, avancent et ces lignées se développent. Elles ne posent aucun problème éthique. Alors pourquoi un tel entêtement ?

Un encadrement législatif de ces recherches « qui portent sur un matériel humain dont tous reconnaissent le caractère unique et très sensible » est plus que nécessaire et certains souhaiteraient que la loi revienne « en arrière ». En effet, « ces avancées technologiques pourraient amener un certain nombre de dérives : transhumanisme, eugénisme, création d’embryons à partir de gamètes et d’embryons chimériques, différenciation en gamètes des cellules souches, ‘clonage’reproductif ». Sur tous ces points, les participants estiment que la loi doit poser des limites à ne pas franchir. Mais la volonté des scientifiques d’étendre la période de recherche sur l’embryon humain au-delà de la limite arbitrairement fixée à 7 jours (Recherche sur l’embryon humain : D’où vient la règle des 14 jours ?, Recherche sur l’embryon : Sur quoi se fonde la règle des 14 jours ? et Recherche sur l’embryon : quid de la limite des 14 jours ?) et la possibilité de créer des embryons pour la recherche, ne semble pas d’aller dans ce sens. Pourtant les recherches menées à partir d’embryons humains n’ont à ce jour pas tenu leurs promesses thérapeutiques.

Un pas de plus vers des pratiques eugéniques ?

Sur la question des examens génétiques et de médecine génomique, des experts souhaitent « l’élargissement de certains diagnostics génétiques, tels que le diagnostic pré-implantatoire étendu aux aneuploïdies[3] ; l’accès aux caractéristiques génétiques en post mortem » (cf. Sénat : Faut-il autoriser les examens génétiques sur personnes décédées ? ) ou proposent « de lancer une étude expérimentale pilotée à grande échelle concernant le dépistage pré-conceptionnel » dans l’idée de l’autoriser en population générale, c’est-à-dire de la rendre accessible à tous. Un pas de plus vers un eugénisme « démocratique » et assumé. Une question qui a été prise en charge lors de ces états généraux par le Comité citoyen alors que les enjeux autour des modifications thérapeutiques du génome ont très peu été abordées par ailleurs (cf. Génomique en préconceptionnel, fin de vie, le Comité citoyen donne son avis dans le cadre des Etats généraux de la bioéthique).

A propos des examens génétiques post-mortem, c’est-à-dire sur personnes décédées, le Sénat vient de court-circuiter les débats en votant une proposition de loi qui doit les autoriser et qui est en passe d’être examinée en première lecture par l’Assemblée nationale. Outre le mépris des sénateurs pour le travail en cours, cette loi n’a de justification ni scientifique, ni médicale : elle suggère qu’il existe un déterminisme génétique, matière à prédire une maladie. Dans le domaine, le meilleur indice de pathologies familiales ou de risques familiaux demeure l’étude des antécédents familiaux, qui s’établit à partir des questions posées aux descendants. Une méthode aux résultats plus probants qu’une recherche de facteurs de probabilités génétiques. En cas de doute, il est possible de se soumettre à l’examen éclairé d’un généticien qui cherchera les possibles mutations du propre génome du patient et… en trouvera probablement. Qu’attendent les sénateurs d’une loi votée en dehors du cadre des révisions bioéthiques en cours, en catimini, et qui risque fort d’être à la fois inutile et couteuse ?

PMA : des enjeux multiples 

L’ouverture de la PMA aux couples de femmes ou aux femmes célibataires est loin de faire l’unanimité. Si certaines la revendiquent au nom d’un principe d’égalité, cette ouverture se heurte très directement aux droits de l’enfant (cf. Procréation médicalement assistée : le bien et les droits de l’enfant au regard de l’expérience) : le droit à l’enfant est en effet à l’exact opposé des droits de l’enfant. Le législateur se permettra-t-il une nouvelle injustice ?

Sur la procréation artificielle, la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes a été évoquée. Mais si chacun s’accorde à dire que l’histoire de la conception ne doit pas être cachée, et reconnaît la distinction existante entre un donneur et un « père », les oppositions restent sensibles entre « la possibilité d’une information non identifiante et le dévoilement de l’identité du donneur ». De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme saisie par Audrey Kermalvezen, jeune femme née d’une PMA avec don de sperme, vient de demander à la France de faire connaître ses intentions et espère une réponse avant le 5 octobre prochain (cf. La Cour européenne des droits de l’homme intervient dans le débat sur l’accès aux origines des enfants nés d’un don de gamètes ). Son attachement au droit à l’accès aux origines pourrait faire de facto basculer le droit français dans ce domaine. Parmi les autres demandes sociétales, les professionnels de santé se sont prononcés pour l’autorisation de l’autoconservation des ovocytes, malgré les risques pour la santé des femmes, les questions de faisabilité et de prise en charge. De même, ils prennent position en faveur de la promotion du don de gamètes. Pour quel bénéfice ?

La fin de vie : pas de consensus au-delà du « socle dur »

La fin de vie a été intégrée aux débats alors que la loi Claeys-Leonetti venait tout juste d’être votée. En permettant une forme d’euthanasie passive, cette loi a ouvert une brèche. Dès son adoption, elle a fait l’objet d’une remise en cause et certains députés ont choisi d’exercer des pressions sur le gouvernement pour la faire évoluer vers la légalisation de l’euthanasie. Mais que se passe-t-il du côté de l’opinion publique ? Jean-François Delfraissy note l’existence d’un « socle dur » : quatre constats très largement partagés. La fin de vie doit être améliorée en France, elle touche essentiellement des personnes du quatrième âge, les soins palliatifs sont actuellement insuffisamment déployés en France et manquent de moyens pour arriver à une égalité d’accès, enfin, la loi Claeys Leonetti est trop peu prise en compte. Cependant, aucun consensus ne se dégage sur le suicide assisté et l’euthanasie qui, par ailleurs, cristallisent l’opposition des professionnels de santé et des sociétés savantes.

Agnès Buzyn, ministre de la Santé, a précisé le 12 juin dernier, que l’avis du Comité Consultatif National d’Ethique concernant la prochaine révision des lois de bioéthique prévu pour septembre n’évoquerait pas la question de l’euthanasie (cf. Loi de bioéthique : entre travaux préparatoire à l’Assemblée nationale et avis du Comité Consultatif National d’Ethique). De même, parmi les 30 recommandations du rapport de l’IGAS[4] chargée d’évaluer la loi Claeys-Léonetti qui vient d’être remis à la ministre, les experts excluent la possibilité de légaliser l’euthanasie ou le suicide assisté (cf. La loi sur la « sédation profonde et continue jusqu’au décès » ne suscite pas l’engouement annoncé). Mais des députés, comme Jean-Louis Touraine, ancien socialiste désormais étiqueté LREM, continuent de faire pression. La vigilance en la matière reste de rigueur.

Don d’organes, du consentement présumé au consentement explicite

Sur la question du don d’organes, les principes de gratuité, d’anonymat et de consentement au prélèvement ont été confirmés. En question, la notion de consentement présumé récemment adoptée en France (cf. Don d’organes : la « faiblesse éthique » du consentement présumé, Le renforcement au consentement présumé au don d’organes : conséquences et enjeux ), qui change la modalité du don. Les débats ont fait émerger la volonté de revenir à un consentement explicite, exprimé et enregistré par exemple sur la carte vitale.

Concernant les prélèvements sur donneurs décédés sur cœur arrêté dits Maastricht III, ils doivent faire l’objet d’une attention particulière. Dans la majorité des cas en effet, la mort intervient à la suite d’une décision médicale d’arrêt de traitement, ce qui n’est pas sans susciter des inquiétudes quant aux risques de hâter ou de provoquer la mort du patient (cf. De la mort au don d’organes). D’autant que les contraintes de temps pour ce type de greffes sont importantes : les organes ne doivent subir de dégradation ni dans le processus qui conduit le patient à la mort et qui doit intervenir dans un laps de temps assez réduit, ni ensuite entre le moment du prélèvement et celui de la greffe.

Sur quelles bases rédiger la révision de la loi ?

D’autres thématiques ont été abordées. Généralement, si l’affirmation de la liberté et de l’autonomie se retrouvent souvent, elle s’accompagne aussi de la prise en compte des plus vulnérables. Un vœu pieux pour justifier toutes les dérives et toutes les transgressions ? Sur tous ces sujets, les citoyens appellent à davantage d’informations.

A la rentrée, le Comité Consultatif National d’Ethique remettra son avis concernant les modifications à venir de la loi de bioéthique. Il doit précéder de peu le projet de loi qui sera remis au Parlement à l’automne. Que restera-t-il de la consultation citoyenne des Etats généraux dans les propositions de l’institution ? C’est bien là toute la question.

 

[1] Comité Consultatif National d’Ethique.

[2] Ils se sont tenus du 18 janvier au 30 avril 2018.

[3] Le terme aneuploïdie désigne l’état d’une cellule, ou d’un individu, comportant un lot de chromosomes se caractérisant par la présence, ou la perte d’un ou de plusieurs chromosomes entiers par rapport au lot normal de chromosomes de l”organisme. Parmi les aneuploïdies les plus courantes se trouvent les trisomies 13, 18 et 21.

[4] Inspection Générale des Affaires Sociales.

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