Onze scientifiques, universitaires, philosophes ou sociologues* dénoncent, dans un article commun, ” le biopouvoir à l’assaut des lois de bioéthique “. Ils regrettent que la discussion de ces lois se fasse ” dans la prétendue urgence de faire face à la concurrence des spécialistes et des laboratoires ” , car signalent-ils ” l’enjeu véritable du débat saute aux yeux : la concurrence des laboratoires enjoint de légaliser au plus vite l’expérimentation et l’exploitation industrielle des embryons humains “.
La question posée est importante : ” faut-il vraiment, sous couvert de concurrence internationale, aligner les choix nationaux sur ceux des pays les plus laxistes ? “. Pourquoi accorder, dans ces débats, moins d’importance à la rigueur scientifique qu’aux avis des divers instances consultées (CCNE, Académie de médecine, Office parlementaire,…) dans lesquels ” on y retrouve toujours les mêmes experts, juges et parties des techniques qu’il leur est demandé d’évaluer, les mêmes arguments, parmi lesquels celui de la compétition entre spécialistes, entre institutions scientifiques, entre entreprises commerciales et entre nations ” ?
Les auteurs de l’article appellent à une évaluation ” absolument indispensable “, “ de manière plus rigoureuse et contradictoire “, de la pertinence scientifique des moyens sollicités par la recherche biomédicale c’est à dire, entre autres, “ prouver que la recherche sur l’embryon humain s’impose par rapport à la recherche sur l’embryon animal; de démontrer que les cellules souches de l’embryon sont plus efficaces que celles de l’adulte, d’énoncer et de discuter les conditions dans lesquelles les ovocytes des femmes seraient acquis pour procéder au clonage à des fins thérapeutiques; (…); d’apprécier les conséquences de cette exploitation d’ovules produites en abondance, face à la perspective de la sélection humaine par l’eugénisme consensuel (le tris des embryons), autant qu’à celle du clonage reproductif “.
Enfin, ils rappellent qu’il était prévu que les révisions des lois de 1994 se fassent sur les aspects techniques dont une évaluation rigoureuse aurait montré les défaillances. Or, ” tel qu’il serait imposé par les spécialistes, le projet de révision en modifierait le fondement anthropologique le plus important : l’unité de la vie humaine et – du serment d’Hippocrate au code de Nuremberg – le refus de traiter un être humain comme une chose “.
* Nicolas Aumônier, professeur de philosophie à l’école supérieure d’art appliquée Duperré ; Florence Bellivier, professeur de droit à l’université Paris XIII Villetaneuse ; Grégory Bénichou, enseignant à l’ESSEC ; Laurence Gavarini, sociologue, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris VIII ; Catherine Labrusse-Riou, professeur de droit privé à l’université Paris I Panthéon Sorbonne ; Hervé Le Meur, chargé de recherche en mathématiques au CNRS ; Jean-Jacques Salomon, professeur honoraire au CNAM ; Jacques Testart, généticien, directeur de la recherche à l’Inserm ; Michel Tibon Cornillot, maître de conférences en anthropologie des techniques contemporaines à l’EHESS ; Monette Vacquin, psychanalyste ; Louise Vandelac, sociologue, professeur en sciences de l’environnement à l’université du Québec, Montréal.
Le Monde 18/01/02