Dans un arrêt du 29 novembre, la Cour de cassation a décidé de retranscrire la filiation paternelle d’un enfant né par GPA en Ukraine dans les registres français d’état civil, mais pas la filiation maternelle comme l’avait fait la cour d’appel de Rennes (cf. GPA : la transcription de la filiation paternelle se banalise en France). Maitre Adeline le Gouvello commente cette décision pour Gènéthique.
Gènéthique : La décision de la Cour de cassation a-t-elle de quoi surprendre ?
Adeline Le Gouvello : La Cour de Cassation ne fait hélas que confirmer les solutions précédemment adoptées[1], mais elle apporte ici des précisions intéressantes. Dans cette affaire, la Cour d’Appel de Rennes avait ordonné la transcription de l’acte de naissance de l’enfant tant en ce qui concerne le père qu’en ce qui concerne la mère d’intention. Adoptant les principes précédemment édictés par la Cour de Cassation, elle avait considéré que l’acte de naissance ukrainien pouvait être transcrit à l’égard du père en France du fait de la conformité de l’acte à la « réalité » (exigée par l’article 47 du code civil), réalité biologique ici : l’homme mentionné dans l’acte ne pouvait qu’être considéré que comme étant bien le père biologique puisque cette paternité n’avait pas été contestée par le Ministère Public. Le Procureur de la République ne l’entend pas ainsi et a formé un pourvoi critiquant cette motivation : le Ministère Public ne pouvait justement pas solliciter une expertise génétique pour s’assurer du fait que le père biologique était bien tel puisque la demande d’une telle expertise n’est pas prévue par la loi en matière de transcription, mais uniquement pour des actions en reconnaissance ou en établissement de filiation à l’égard du père. C’est la seule raison pour laquelle il n’a pu requérir cette expertise. En conséquence, la Cour ne peut prétendre que le père inscrit sur l’acte est bien le père biologique, car en réalité, la Cour d’Appel n’en a aucunement la preuve.
La Cour de Cassation passe outre l’argument en indiquant que la Cour d’appel n’était saisie que d’une action de transcription et non pas en reconnaissance de paternité. Qu’à partir du moment où l’acte de naissance ukrainien était administrativement valide, inutile d’aller chercher plus loin… Pourtant, la question soulevée par le Ministère Public était très intéressante : il n’est pas du tout certain que les pères mentionnés sur ces actes soient véritablement des pères biologiques. Dans ces cliniques étrangères, tout est possible. Toutes les gamètes peuvent s’acheter. Passant outre l’adoption, trop compliquée (peu d’enfant adoptable), enfants trop âgés, des adultes peuvent procéder à la commande et l’achat d’enfant sans lien biologique quelconque. Le cas s’est déjà rencontré et a d’ailleurs été très fermement sanctionné par l’Etat Italien (retrait de l’enfant aux « parents » acquéreurs), sanction ayant reçu l’aval de la Cour Européenne des Droits de l’Homme par un arrêt de janvier 2017[2]. On comprend donc l’importance de la vérification de la paternité biologique du père…
Un autre aspect de la décision du 29 novembre est intéressant : la cour d’appel de Rennes était allée très loin en ordonnant la transcription de l’acte de naissance à l’égard de la mère d’intention également au motif que, cette fois, la réalité biologique n’existait pas certes, mais qu’une autre réalité, la réalité « juridique » était à prendre en compte et que « juridiquement », sur l’acte de naissance ukrainien, elle était bien la mère. La Cour d’Appel faisait ainsi pleinement droit aux revendications des parents acheteurs qui invoquent depuis longtemps cette réalité « juridique » sans craindre de tordre les mots et les concepts à leur profit. Le Parquet a bien entendu critiqué aussi cette décision et, cette fois, la Cour de Cassation sanctionne : l’arrêt d’appel est cassé sur ce point. La « réalité » doit donc s’entendre de la réalité matérielle et non pas d’une fiction juridique créée par les commanditaires de la GPA.
G : Après la Cour de Cassation, les parents d’intention ont-ils d’autres recours ?
ALG : Oui, après avoir épuisé toutes les voies de recours internes, ils peuvent désormais saisir la CEDH.
G : Peut-on imaginer que la solution adoptée par la Cour de Cassation sera désormais systématique pour la retranscription de tout acte de naissance étranger avec suspicion de GPA ?
ALG : Par cet arrêt, la Cour de Cassation persiste et signe. Néanmoins, rien n’est définitif. La Cour est déjà revenue sur sa propre jurisprudence en matière de GPA puisqu’auparavant elle interdisait la transcription et l’adoption après GPA, et elle l’admet maintenant. Elle peut tout à fait opérer un nouveau revirement dans l’autre sens. D’autant plus que les juges du fond résistent : plusieurs décisions rendues en septembre et octobre dernier ont refusé l’adoption d’enfants nés par GPA par le conjoint du père précisément parce qu’il y avait eu une GPA, cette convention de mère porteuse étant pénalement interdite. Lorsqu’il y a résistance des juges du fond, la Cour peut être amenée à avoir à se prononcer de nouveau et peut infléchir sa position. Entre la position du Ministère Public sur les transcriptions et celle des juges du fond sur les adoptions, on voit bien que celle de la Cour de Cassation est loin de faire l’unanimité.
G : Chaque retranscription d’un acte de naissance étranger avec suspicion de GPA fait-il l’objet d’un procès en France ?
ALG : Les actes de naissance étrangers sont traités par le service central d’état civil du ministère des affaires étrangères qui est basé à Nantes. C’est la raison pour laquelle c’est le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Nantes qui est territorialement compétent puis la Cour d’Appel de Rennes. Le Parquet semble attentif à cette question au regard des pourvois qu’il forme, mais nous ne savons pas s’il refuse de transcrire chaque demande, ce qu’il pourrait faire compte tenu du fait que le critère de « réalité » auquel la Cour de Cassation s’est raccroché amène à la question de la vérification de cette réalité matérielle de la filiation, qui peut être purement fictive sur le papier.
G : Caroline Mecary annonce à La Croix qu’elle s’apprête à saisir la CEDH pour contester une décision datant de septembre de la cour d’appel de Rennes, qui a ordonné la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger par GPA uniquement à l’égard du père. Comment la CEDH risque-t-elle de trancher ?
ALG : Le 26 juin 2014, la Cour Européenne des Droits de l’Homme avait rendu deux arrêts retentissants condamnant la France pour ne pas avoir transcrit les actes de naissance des enfants nés par GPA à l’étranger sur les registres d’état civil français[3]. C’est à partir de ces deux arrêts que la Cour de Cassation a effectué son revirement de jurisprudence. Cela étant, la formation solennelle de la CEDH par un arrêt du 20 janvier 2017 a rendu aux Etats une certaine faculté de lutter contre la GPA et a fait preuve d’une assez grande fermeté à l’égard de parents ayant eu recours à la GPA alors qu’aucun lien biologique n’existe entre eux et l’enfant. Dans cette affaire, l’Italie avait retiré l’enfant à ses parents commanditaires qui avaient vécu avec lui six mois. En 2015, la CEDH avait condamné l’Italie estimant que la protection de la « vie familiale » primait et que l’enfant devait être élevé par ses acheteurs. Dans sa nouvelle décision, la grande chambre de la CEDH est revenue sur la solution initiale et conclu à l’absence de vie privée et familiale, malgré l’existence d’un projet parental. Elle a rappelé que « la convention ne consacre aucun droit de devenir parent »[4]. Il n’est donc pas du tout certain que la CEDH fasse droit aux demandes des parents d’intention français.
[1] Aude Mirkovic : « La France tient un double langage sur la GPA »
[2] GPA : Pas de droit à la vie familiale fondée sur l’achat d’un enfant
[3] La CEDH condamne la France : vers la légalisation de fait de la GPA