Manipulation du génome humain : le débat confisqué

Publié le 3 Jan, 2019

En réaction à l’annonce en novembre dernier de la naissance de jumelles dont l’ADN avait été modifié au stade embryonnaire, les leaders de la communauté scientifique cherchent de façon urgente à mettre en place des standards internationaux pour encadrer la production d’humains génétiquement modifiés. Cependant, ces leaders ont oublié une question cruciale à laquelle aucune réponse n’a été apportée à ce jour : est-il ou non acceptable de programmer génétiquement un enfant en introduisant des changements qui se transmettront à sa propre descendance ? Or, cette question n’est pas celle de la science mais de l’humanité dans son ensemble. Les conséquences de la transmission des altérations génétiques sur les relations fondamentales entre parents et enfants, médecins et patients, citoyens et membres de la société, ne sont pas connues.

 

En 2015, une douzaine de bioéthiciens et de scientifiques réunit dans le premier sommet de l’édition du génome humaine avait déclaré qu’il était irresponsable de procéder à une modification du génome humain tant que deux conditions n’étaient pas réunies : la première, tant que la sécurité et l’efficacité n’étaient démontrées, et la seconde, qu’il existait un consensus international sur la convenance de l’utilisation du procédé. Seulement trois ans plus tard, l’engagement sur un consensus international semble abandonné. Dans leur contestation de l’expérience du chercheur chinois, ce qui est problématique n’est pas ce qu’il a fait, mais la façon dont il l’a fait. Pourtant le vrai problème est qu’en faisant ce qu’il a fait, le chercheur He Jiankui s’est approprié la responsabilité d’une décision qui revient à chacun de nous, et les scientifiques, dans ces domaines de pointe, risquent de répéter la même erreur. Pour changer de cap, il faudrait que la science ne présume pas de la direction que la technologie devrait prendre, mais qu’elle suive celle que les peuples lui montrent ; la science doit être au service des parties de la société. Dévier de ce principe est dévastateur pour la science et le futur de l’humanité.

 

En 1975 à Asilomar, les scientifiques se sont penchés sur l’ADN recombinant. Ils ont résolu une question publique sans que le public ait été concerné. Un sénateur américain, Edward Kennedy, a noté : « Ils font de la politique publique. Mais ils la font en privé ». Cette méthode permet à la recherche d’avancer, mais au prix de la confiance du public.

 

Quarante ans plus tard, il faut choisir une autre voie et ne plus se laisser guider par le hasard. Certains suggèrent que la gouvernance soit laissée à la régulation nationale et aux marchés. Une proposition qui autoriserait les pays à réguler les effets à l’intérieur de leurs frontières mais qui priverait l’humanité du rôle de se prononcer sur l’avenir que nous voulons voir venir.

 

La controverse autour des essais d’ He Jiankui créé une opportunité et une urgence quant à l’innovation d’une gouvernance globale des sciences et des technologies. Les progrès ne peuvent se faire qu’à travers un consensus qui requiert un accord large concernant ce qui doit être discuté et dans quels termes. Le futur s’écrit à l’aune du passé. La philosophe Annah Harendt en 1958 s’inquiétait de ce que les technologies nous laissent « incapables de comprendre, c’est-à-dire, de penser et de parler de choses que pourtant nous sommes capables de faire ». La compréhension, notait-elle, est matière à politique : elle permet à une chose publique d’être « pensée et parlée » ensemble à propos d’un futur commun. Après Auschwitz, ces paroles avaient un sens. Elles s’imposent de nouveau aujourd’hui où il faut que l’humanité apprenne à penser et à parler du déploiement de ces technologies pour ne pas être victimes de ces techniques puissantes « que nous ne comprenons pas mais que nous sommes capables de fabriquer ».

 

Nature, Benjamin Hurlbut (02/01/2019)

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