Loi naturelle : Des fondamentaux d’actualité pour résoudre les épineuses questions de bioéthique

Publié le 10 Mar, 2016

Le discours bioéthique est souvent partagé entre des perspectives utilitaristes ou « déontologiques », et une approche kantienne de l’éthique. Pourtant, il existe une approche alternative qui retient moins l’attention, celle de la loi naturelle. Le professeur John Keown de l’université de Georgetown vient de publier une introduction la loi naturelle en bioéthique[1]. Il explique l’intérêt et l’actualité de revenir à ces fondamentaux.

 

« De nombreuses lois et codes éthiques sont fondés sur l’articulation de certains principes moraux fondamentaux de la loi naturelle qui devraient toujours être respectés, quelles qu’en soient les conséquences ». Contrairement à d’autres approches de la bioéthique, utilitariste la plupart du temps, la théorie de la loi naturelle, qui est une philosophie et non une théologie, offre un ensemble cohérent de principes. Elle présente notamment les comportements à bannir auprès des patients : les tuer intentionnellement, leur mentir, les exploiter. Ce, quelque soit le bénéfice que d’autres ou la société pourraient en tirer. John Keown prend l’exemple de l’euthanasie : « L’interdiction intentionnelle de tuer des patients, qui est encore inscrite dans la loi de la grande majorité des pays et dans l’éthique de l’Association médicale mondiale, est fondée sur le principe selon lequel il est toujours mauvais de tuer intentionnellement une personne. Même à sa demande ».

 

Le point de départ de la théorie du droit naturel est « la vie bonne ». De facto, John Keown rejette la réponse utilitariste standard, qui est orientée vers le plaisir ou la satisfaction des désirs. Ces deux réponses pouvant être utilisées pour justifier des actes manifestement immoraux. La vie bonne telle que la conçoit la théorie de la loi naturelle participe aux biens de la vie, la santé, l’amitié, la connaissance, l’appréciation de l’art et la beauté, le travail, le jeu et les pratiques raisonnables. Ces bases ne sont pas uniquement des instruments, mais des fins en elles-mêmes qui, comme telles, méritent d’être poursuivies pour elles-mêmes[2].

 

Ces bases de la vie bonne constituent un fondement objectif pour l’éthique du droit naturel, mais elles doivent être complétées par des principes moraux intermédiaires, qui éclairent notre jugement sur l’éthique de la conduite à tenir : « Est-il juste pour moi de dire au patient qu’il va très bien quand je sais qu’il est en train de mourir ? Est-ce que je peux permettre au patient de refuser son consentement à des recherches inoffensives mais potentiellement révolutionnaires sur lui, alors qu’il est anesthésié ? » Les principes clés sont ceux du « soin » et du « respect » qui, en bioéthique, se déclinent en termes de « bienfaisance » et « non-malfaisance ».

 

Que deviennent les principes de la loi naturelle dans ses applications pratiques en médecine ?  A cause de la grande antériorité de cette théorie, « la richesse de ce trésor de réflexion a déjà façonné nos lois et nos codes de déontologie » dans la façon de traiter les patients, sur les conditions éthiques de la recherche… Ce qui ne veut pas dire que la loi naturelle ait donné des réponses définitives à toutes les questions bioéthiques du monde contemporain auxquels sont confrontés les cliniciens, mais ce sont bien souvent des questions anciennes présentées sous une nouvelle forme : « La question du statut moral de l’embryon humain in vitro peut sembler tout à fait nouvelle, mais les théoriciens du droit naturel ont déjà réfléchit au statut moral des embryons humains in vivo pendant des siècles ». La question de savoir si refuser ou non de retirer le tube d’alimentation d’un patient semble complètement nouvelle, nous obligeant à inventer de nouveaux principes éthiques, mais la réponse des penseurs de la loi naturelle réside dans l’application de critères éthiques existants : le tube d’alimentation est-il un traitement médical ? Le cas échéant, ce traitement est-il disproportionnée soit parce que futile, soit parce que trop couteux ? Les réponses à ces questions ne sont pas pour autant faciles, et elles ne feront pas toujours l’objet d’un consensus, même parmi les théoriciens du droit naturel. Cependant, même difficiles, des questions bioéthiques contemporaines peuvent être résolues par l’application intelligente de ces principes bien établis.

 

[1] Bioethics and the Human Goods, An Introduction to Natural Law Bioethics, Alfonso Gómez-Lobo with John Keown. Le livre n’est pas disponible en français.

[2] La santé et les connaissances peuvent aussi être instrumentalement précieuses, mais leur valeur ne se réduit pas à celle de simples instruments.

Bioedge (John Keown et Xavier Symons) 08/03/2016

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