L’enfant : un nouveau produit ?

Publié le 4 Jan, 2007

Dans un dossier sur « l’essor du bébé-business », Courrier International enquête sur la commercialisation des enfants et les marchés florissant de la fertilité et de l’adoption.

Debora Spar, professeur à la Harvard Business School, vient de publier The Baby Business. Cet ouvrage, étayé de chiffres, montre l’importance du marché de l’assistance médicale à la procréation (AMP) – fécondation in vitro (FIV), dépistage prénatal (DPN), dépistage préimplantatoire (DPI)…- aux Etats-Unis, secteur très peu contrôlé.

Aux Etats-Unis, en 2004, l’industrie de la fertilité pesait 3 milliards de dollars. La location d’un utérus, par exemple, coûte entre 25 000 et 45 000 dollars pour neuf mois et il faut compter entre 2 500 et 50 000 dollars pièce pour un ovule. En 3 ans, le nombre de recours aux dons d’ovules a augmenté de 40% : on en comptait 14 323 en 2003 contre 10 389 en 2000. Le site Internet d’enchères Ebay a même proposé des ovules à vendre au Royaume-Uni, bien que la législation en vigueur dans le pays interdise cette marchandisation. Joséphine Quintaralle qui appartient au groupe Comment On Reproductive Ethics (CORE), souligne que le don d’ovules n’est pas un acte anodin : « C’est votre matériel génétique que vous transmettez à quelqu’un. Feriez-vous don de votre bébé à quelqu’un d’autre ? Vendriez-vous votre enfant 15 000 livres ? ».

L’évolution sans précédent que connaît cette pratique est due notamment à l’âge, de plus en plus tardif, de la maternité. Pourtant, les risques liés à une maternité tardive sont connus. Bien sûr, « grâce à l’amélioration constante des techniques de dépistage prénatal (…) le nombre d’enfants nés avec le syndrome de Down (trisomie 21) a chuté » et « les progrès réalisés en matière de dépistage préimplantatoire devraient assurer à l’avenir un meilleur taux de natalité par fécondation in vitro » en améliorant la sélection des embryons, ajoute l’hebdomadaire.

Le recours à la congélation des ovules anticipe une grossesse tardive, même si les résultats sont « décevants » : 4 300 ovocytes sont nécessaires pour 80 bébés. Aux Etats-Unis, en 2002, 263 bébés sont nés de femmes âgées de 50 à 54 ans. Outre le fait qu’elle est douloureuse et qu’elle comporte des risques, cette technique s’adresse exclusivement aux femmes qui en ont les moyens financiers. Une clinique américaine facture 10 000 dollars pour le prélèvement et le stockage pendant un an d’ovocytes.

Malgré ces coûts élevés, les cliniques de reproduction se multiplient, notamment à l’Est où un véritable « tourisme de la reproduction » se développe. Pour Valeri Kichon, directeur de la clinique Isida en Ukraine, la commercialisation croissante de la procréation ne pose aucun problème puisqu’elle permet à des personnes de sortir de leur difficulté financière en aidant d’autres couples. « Nous sommes sensiblement moins chers (…) Nous avons de belles femmes » argue-t-elle encore.

Quant à la question du clonage humain qui ne bénéficierait pas d’un marché porteur, pour le moment, Debora Spar annonce que cela pourrait bien changer si cela permettait à des couples d’avoir un enfant. « On accusera alors les anti-clonage de ne pas avoir de cœur », prévient-elle.

Parce que la science rend possible une certaine maîtrise de la génétique, la tentation existe de sélectionner les enfants selon leurs caractéristiques. Le DPI connu pour ses « répercussions eugénistes » implique qu’un enfant puisse être estimé “défectueux”, et qu’un autre soit déclaré “indigne de vivre”.

Selon Debora Spar, la plupart des DPI sont faits pour choisir le sexe de l’enfant plutôt que d’éviter des maladies génétiques. Le DPI permet à des parents atteints d’un handicap, comme la surdité ou le nanisme, de choisir des enfants atteints du même handicap qu’eux.

Le dossier du Courrier International cite le Dr Stéphane Viville, responsable du centre de DPI de Strasbourg. Il pratique des DPI pour empêcher la naissance d’enfant nain. Il explique qu’il ne réimplanterait pas d’« embryons nains ». Il craint que le DPI puisse produire des « monstres génétiques » sur commande.

Le Dr Darshak Sanghavi, cardiologue-pédiatre à la faculté de médecine de l’université du Massachussetts, ne s’inquiète nullement de cette déviance qu’il justifie ainsi : « même la reproduction naturelle a tendance à l’erreur ».

Le Courrier International s’intéresse également aux « Docteurs Fol Amour » qui consacrent leurs recherches à satisfaire la demande d’enfants de la part des couples infertiles en essayant de reproduire des ovocytes, des spermatozoïdes…

L’adoption aussi est devenue un enjeu financier de taille pour les pays pauvres. En 2004, pour des parents américains, une adoption coûtait 6 700 dollars pour un éthiopien noir et 15 000 dollars pour un russe blanc, tant les intermédiaires sont nombreux et gourmands. Ignoré par naïveté ou volontairement, l’adoption fait l’objet de nombreuses tractations. Le Guatemala, par exemple, où l’adoption n’est pas contrôlée par le gouvernement, est devenu « une usine à bébés, où ces-derniers sont traités comme de la marchandise ». Les demandes d’adoption pour l’étranger se multiplient. Pour la seule année 2005, on comptait 19 298 enfants guatémaltèques adoptés par des couples américains. En 2003, la Chine, 1er « exportateur d’enfants » devant la Russie, en a « exporté » 11 231. La même année, les Etats-Unis, champion de « l’importation d’enfants », ont enregistré 21 616 adoptions d’enfants étrangers. La France se place au second rang avec 3 995 enfants étrangers adoptés. Ces pratiques prospèrent en dépit de la Convention de La Haye qui souhaite « prévenir l’enlèvement, la vente ou la traite d’enfants » et précise que l’adoption internationale ne doit être qu’un dernier recours.

Pour Debora Spar, si « personne ne veut imaginer qu’un enfant puisse être un produit », il faut se rendre à l’évidence : « nous usons d’euphémisme pour masquer ce qui se passe vraiment ».

Courrier International 21/12/06

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