Le fœtus est-il une personne ? C’est à cette question que veut répondre L’aube du moi, de Carlo Valerio Bellieni, professeur en néonatologie à l’université de Sienne et membre de l’European Society of Pediatric research. Alors que l’”on nie souvent que le fœtus est une personne parce qu’on associe l’idée de personne à celle de conscience de soi“, l’auteur affirme d’emblée que “le néonatologue – le médecin du fœtus- n’a aucun doute sur ce qu’est un fœtus ; l’évidence s’impose à lui“. Dans cet ouvrage, qui rassemble différents articles parus dans des revues scientifiques, l’auteur veut “aider à comprendre qui est en vérité le fœtus” pour être attentif aux “précautions [qu’il] faut prendre avec lui“.
Le fœtus, un être sensible
“Sans l’ombre d’un doute, nous pouvons dire que le fœtus humain est une personne : il sent, il se souvient, il rêve, il éprouve de la douleur et du plaisir, il a des désirs.” L’observation des réactions aux stimuli du fœtus ou du prématuré (fœtus hors de l’utérus) révèle aujourd’hui que la vie utérine est loin d’être inerte et qu’il y a chez le fœtus abondance de récepteurs sensoriels qui lui assurent une vie sensible riche et structurante. Sensibilité olfactive et gustative, tactile et vestibulaire, acoustique et visuelle se développe progressivement pendant la grossesse afin de modeler le système nerveux central et de préparer le futur nouveau-né au monde extérieur.
7 ou 8 semaines après la conception, le fœtus présente une réaction de fuite si on stimule la région péribuccale. A 22 semaines, il sursaute en présence d’une musique à volume élevé perçue à travers la paroi utérine (Relier, 1996). Si les stimuli sont répétés, l’observation révèle un phénomène d’habituation (Hepper, 1997), ce qui prouve également que le fœtus a de la mémoire. Lorsque la mère vit dans un milieu trop bruyant, il n’est pas rare qu’il en subisse des dommages auditifs. Des pédiatres de Marseille se sont également aperçus que l’enfant était sensible aux saveurs de l’alimentation de sa mère. L’auteur fait enfin remarquer que si le nouveau-né s’endort quand on le berce, c’est qu’il retrouve les sensations vestibulaires rassurantes qu’il éprouvait dans le sein de sa mère (Loux 2002). C’est à partir de toutes ces sensations que le fœtus pourrait rêver.
La douleur du fœtus
Il existe encore des personnes qui affirment que n’étant pas capable de dire “je” le fœtus ne peut ressentir la douleur. Jusqu’en 1987, les opérations chirurgicales sur le nouveau-né étaient effectuées sans anesthésie : on pensait que fœtus et nourrisson avaient un niveau de conscience et de mémoire trop bas pour pouvoir discerner la douleur. En réalité, le fœtus ressent la douleur de manière très semblable à l’adulte parce qu’il dispose des voies anatomiques de la douleur : récepteurs, voies neuronales et cortex capable de recevoir et d’intégrer l’information (Hamon 1996). Le tout-petit enfant serait même plus sensible à la douleur que l’adulte : la densité des récepteurs et de substance P (substance médiatrice de la douleur) est plus importante que chez l’adulte et il n’est pas préparé à la subir.
Il est ainsi indubitable que l’IVG est extrêmement douloureux pour le fœtus (Vial et al. 1996). En France, l’administration d’un anesthésiant est suggérée dans les cas d’interruption de grossesse à partir de 14 semaines. Rien ne permet pourtant de savoir si l’enfant ne souffre pas avant.
Le fœtus, un être de relation
La découverte de la douleur des prématurés a permis de réaliser que le fœtus était un être de désir et de relation : face à la souffrance, l’enfant a besoin d’une présence humaine à ses côtés. La méthode d’analgésie des prématurés, mise au point par le Pr Bellieni et appelée “saturation sensorielle” le démontre : elle consiste à fournir à l’enfant, pendant un prélèvement sanguin douloureux, divers stimuli sensoriels qui le distraient et le rassurent. Extrêmement efficace, cette méthode ne fonctionne que si elle est exécutée avec l’intention délibérée de distraire et de réconforter l’enfant.
L’haptonomie ou science du toucher, inventée aux Pays-Bas par Frans Veldman, montre également que le fœtus peut entrer en communication avec ses parents à travers la paroi utérine. “A partir du moment où les premiers mouvements sont perceptibles, […] la mère le prend, à la lettre, dans ses mains, l’enveloppant affectivement. La stimulation perceptive, ressentie par l’enfant, l’invite à répondre de façon réflexive, de plus en plus participante. Et peu à peu se développe, entre la mère et l’enfant, une interaction communicative.”
Le fœtus, un patient à protéger
Les expériences de la vie intra utérine influençant fondamentalement le développement de l’enfant, l’évolution des techniques de procréation engendre de nouvelles difficultés pour les pédiatres. Le développement de l’assistance médicale à la procréation (AMP) et la systématisation du diagnostic prénatal (DPN) peuvent être pour lui des facteurs de risques. Bellini rapporte l’étude d’Hansen et al. de 2002 dans le New England journal of Medecine : “les enfants conçus par ICSI ou fécondation in vitro ont à la naissance un risque de défauts majeurs deux fois plus élevé que les enfants conçus naturellement.” Schieve et al. décrivent en 2002 le lien entre les FIV et le faible poids des enfants à la naissance, même en cas de grossesse non multiple. Si l’échographie ne semble pas avoir d’impact sur le développement de l’enfant, des publications font le lien entre amniocentèse et problèmes respiratoires à la naissance. (Greenough, Lancet 1997). Le fœtus ressent également l’anxiété de sa mère (Sjostrom et al. 2002) et la recherche d’anomalies a sur lui un profond impact. Mme Vial, directrice du service de puériculture d’un hôpital parisien estime que “toute exploration fœtale, en particulier la réalisation du caryotype, provoque, surtout chez la mère, une vraie “interruption” de la relation avec l’enfant, qui reprendra seulement après le résultat garantissant la normalité. A l’observation de la plus minime anomalie, la suspicion portée sur la qualité de l’enfant induit chez les parents une réaction de rejet totalement disproportionnée à l’égard de la gravité réelle.”
Conclusion
La vie prénatale est presque orpheline de soins mais la recherche consumériste de l’enfant parfait et le droit des parents à tout savoir de l’enfant occasionnent une ingérence qui ne serait pas acceptable pour un sujet adulte et qui peut être source de dommages pour toute la vie de l’enfant. Dans un tel contexte, c’est au médecin de protéger le fœtus d’un possible “diagnostic de ‘non-conformité‘ aux attentes” et le commencement de l’acceptation passe par le regard que les parents voient chez le médecin. Malgré l’anxiété d’un tel moment, ils savent bien distinguer si l’enfant est regardé comme un “cas clinique“, un “produit“, ou comme un enfant, avec un nom, une histoire, une valeur qui est supérieure à sa pathologie.
Au fil des articles, le Pr. Carlo Valerio Bellieni rappelle qu’il convient “d’appeler enfant un enfant, même s’il n’est pas encore sorti du sein maternel, parce que le nom que l’on donne renferme le jugement que l’on porte“.
L’aube du moi, Carlo Valerio Bellieni, oct. 2009, Ed. de l’Emmanuel.