“La recherche sur les embryons humains pose de redoutables questions”

Publié le 10 Déc, 2012

Dans une tribune publiée par le quotidien La Croix, cinq juristes s’interrogent suite à la récente proposition de loi adoptée par le Sénat autorisant la recherche sur les embryons humains (Cf Synthèse de presse Gènéthique que 05/12/12), alors même que "la révision de la loi de bioéthique n’est pas à l’ordre du jour". Leur interrogation est la suivante: en matière de "recherche sur l’embryon, la dérogation peut-elle devenir la règle?".

En premier lieu, les juristes précisent que "la recherche sur les embryons humains posent de redoutables questions".  En raisonnant "d’un point de vue ontologique, et si l’on admet que l’embryon est protégé par le principe de dignité, au nom de la personne en devenir qu’il constitue, il s’agit d’utiliser un être humain comme matériau de laboratoire". Poursuivant ensuite sur la question de l’autorisation de telles recherches, ils précisent qu’ "admettre la licéité de la conduite des recherches sur l’embryon ne peut s’inscrire que dans une révision du cadre conceptuel actuel". Or, dans ce cas, "au sens juridique du terme, la vie humaine ne serait plus le processus continu que la science reconnaît. Ce serait une réalité que le droit appréhende essentiellement en fonction du destin que la société ou des individus assignent à cette vie humaine en développement". 

Cette autorisation de principe de la recherche sur les embryons que prévoit la proposition de loi "vise à remettre en cause le principe même de l’interdiction, […] aujourd’hui proclamée" et qui "traduit l’exigence de protection de l’embryon". Pour les juristes, "alors même que des dérogations peuvent être apportées" au principe d’interdiction actuellement en vigueur, cet état actuel du droit issu de la loi de bioéthique de 2011, "limite les dérives vers l’instrumentalisation".
Mais, ajoutent-ils, "la protection de l’embryon résulte d’un certain nombre d’exigences" puisque "indépendamment de la question de son statut, l’embryon est protégé tant par la Constitution que par les engagements internationaux de la France". Ainsi, "l’article 18 de la Convention bioéthique du Conseil de l’Europe, admet que certaines législations nationales permettent des recherches sur l’embryon in vitro, à condition que celles-ci assurent une protection adéquate à l’embryon". De même, "la grande chambre des recours de l’Office européen des brevets a écarté, pour des raisons tenant à l’ordre public, la possibilité d’obtenir un brevet portant sur des cellules souches humaines, dès lors que leur obtention entraîne la destruction d’un embryon humain" (décision Warf c/Thomson du 25 novembre 2008). Par la suite, cette décision a été confirmée le 18 octobre 2011, par une décision de la grand chambre de la Cour de justice de l’Union européenne "en considération du fait que l’embryon humain était protégé au nom du principe de la dignité humaine". Enfin, en France, le Conseil constitutionnel "a jugé que les embryons, même in vitro, devaient faire l’objet d’une protection adéquate" (décision 94-343-344 DC du 27 juillet 1994). 

Pour les cinq juristes, "l’abandon du principe de l’interdiction de la recherche sur les embryons, et donc la reconnaissance de celui de l’autorisation, même assorti de garanties procédurales, s’inscrit dans une démarche purement idéologique" et "n’offre pas de voies nouvelles à la recherche, remet en cause une exigence liée au principe de dignité humaine". 
Par conséquent, les juristes considèrent qu’ "autoriser la recherche sur les embryons humains par principe entraîneraient une rupture avec des principes au fondement de notre ordre juridique", une "rupture que le législateur s’est refusé à accomplir, à trois reprises et malgré les pressions". Ainsi, "sans un vaste débat démocratiquement conduit", comme l’ "exige […] la loi de bioéthique de 2011 qui prévoit des états généraux de la bioéthique avant toute modification de la loi […], une telle rupture ne peut être aujourd’hui opérée". En effet, "un tel débat public permettrait de discuter des motifs qui pourraient justifier ou, au contraire, ne pas justifier, une telle transgression". 

La Croix (Bertrand Mathieu – Jean-René Binet – Nicolas Mathey – Daniel Vigneau – Aude Mirkovic) 11/12/12

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