Un premier dîner sur la bioéthique s’est tenu à l’invitation du Président de la République. Rien de tel qu’un bon repas pour reprendre goût à la vie. C’est le contraire qui s’est passé à l’Elysée. Il s’agissait d’évoquer une possible légalisation de la mort par euthanasie avec les professionnels Agnès Buzyn, Jean-Louis Touraine, Jean-Luc Romero, favorables à ce « progrès », avec Jean Léonetti auteur des deux lois sur la fin de vie, avec la sœur de Lionel Jospin qui a raconté comment sa mère avait choisi de « mourir dans la dignité », avec la ministre belge de la santé, Christiane Vienne, fière d’avoir réussi à dépénaliser l’acte dans son pays, et avec les inévitables seconds rôles confits dans la bienveillance et persuadés qu’en agitant les droits du patient on pouvait régler la question. Ce dîner était-il nécessaire ?
L’hôpital mué en nécropole
L’euthanasie n’est pas un point qui devrait relever des lois de bioéthique, au sens où ces lois ont été votées jusqu’à présent. Le fait d’abréger volontairement la vie des patients n’est l’expression d’aucun conflit entre les avancées de la biotechnologie et la morale. La médecine réanime de mieux en mieux, tout le monde s’en félicite. Elle n’est pas tenue à l’acharnement thérapeutique, tout le monde en est d’accord. Mais elle ne doit jamais délibérément précipiter la mort, c’est un principe hippocratique (400 av JC). Mettre sur le dos de la médecine ce qui ne relève pas de sa mission est une facilité démagogique qui transforme les soignants en prestataires de services pour satisfaire les désirs d’une société désespérée. Et qui fabrique trois sortes de victimes : les patients, les médecins et l’hôpital mué en nécropole.
Il y a plus préoccupant. Dans plusieurs pays occidentaux, la chosification de la vie humaine pousse à établir un lien entre l’euthanasie et les prélèvements en vue de greffes. Peu de personnes savent que la loi Leonetti de 2005 a rendu juridiquement possible une nouvelle activité consistant à prélever des organes chez des donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé. En effet, auparavant, l’arrêt volontaire des traitements chez des personnes en fin de vie étant interdit, cet enchainement douteux n’était pas envisageable. Un amendement de Jean-Louis Touraine à la loi santé a renforcé le principe du consentement présumé au don d’organes au point d’en faire une obligation contre la volonté des familles. Fin 2014, un premier hôpital a été autorisé à réaliser des prélèvements selon cette procédure. En 2015, deux autres ont suivi. Fin 2017, 18 centres étaient habilités. Aujourd’hui, la majorité des donneurs décédés le sont à la suite de la limitation ou l’arrêt des thérapeutiques. L’avenir est cousu de fil blanc. Donner la mort deviendra un acte d’amour sublime. Dès lors, comment s’opposer à des demandes ou propositions d’euthanasies « altruistes » pour fournir des organes capables de sauver des vies ? La sémantique faussement généreuse du « don » stérilise l’opposition à l’appropriation du corps humain et interdit l’évocation d’inévitables conflits d’intérêts.
Le sort de l’embryon humain… entre la poire et le fromage
Face au spectre de l’euthanasie, pour calmer les craintes, la tentation commune est d’inviter au développement des soins palliatifs. Certes, mais les partisans de l’euthanasie sont les premiers à le demander. Ce n’est donc pas la réponse adaptée. Les soins palliatifs n’empêcheront pas plus l’euthanasie que la médecine périnatale n’empêche l’avortement. Lors du dîner de l’Elysée, le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, a opportunément rappelé les grands jugements de l’Histoire récente aux termes desquels « toute l’éthique médicale est basée sur le refus absolu de ce qui s’est passé dans les camps de la mort et plus particulièrement à Auschwitz ». Que dire de plus ou de moins que le code de Nüremberg ? La réaffirmation du principe de l’interdit de tuer est la seule réponse efficace à l’euthanasie. Sera-t-elle entendue ?
Deux autres dîners devraient suivre. Le prochain se tiendra autour du thème de la procréation médicalement assistée. Il y sera question du sort de l’embryon humain… entre la poire et le fromage.
Et c’est ainsi que le transhumanisme est grand.
Article publié initialement dans le magasine Valeurs actuelles sous le titre : Dîner sur la bioéthique : faute de goût à l’Elysée ?