GPA : Que s’est-il dit à la conférence de la Haye ?

Publié le 17 Avr, 2018

Un groupe d’experts issu de la Conférence de la Haye s’est réuni en février dernier pour travailler sur un projet de convention internationale relative à la filiation. A l’occasion, les questions de droit autour de la GPA ont été abordées. Claire de La Hougue revient pour Gènéthique sur les lignes de la discussion.

 

Du 6 au 9 février 2018 s’est réuni le Groupe d’experts sur le projet filiation / maternité de substitution de la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH) (cf. Conférence de La Haye : encadrer une pratique contraire au droit international ?). La Conférence de La Haye est une organisation rassemblant 82 États et l’Union européenne. Elle est dirigée par un Conseil sur les affaires générales et la politique, composé de tous ses membres, qui travaille avec l’aide de son Bureau Permanent.

 

La Conférence travaille depuis 2011 sur les « questions de droit international privé concernant le statut des enfants, notamment celles résultant des accords de maternité́ de substitution à caractère international ».

 

Des travaux orientés vers le statut juridique de la GPA

 

En 2015, suivant la recommandation du Bureau Permanent, le Conseil a décidé de constituer un Groupe d’experts pour étudier la possibilité et l’opportunité de poursuivre les travaux dans ce domaine. Un groupe « géographiquement représentatif » constitué d’experts provenant d’une vingtaine de pays a donc été constitué et s’est réuni en février 2016, 2017 et 2018.

 

Dès le début, le travail du Bureau Permanent, qui prépare la tâche du Conseil et du Groupe, a été clairement orienté. Ainsi, le processus de consultation lancé en 2012 pour recueillir des informations a-t-il été effectué uniquement auprès de personnes tirant profit de cette pratique : en-dehors des États, seuls des avocats et des médecins pratiquant la gestation par autrui et des agences de maternité́ de substitution ont été interrogés. De même, aux différentes réunions du Groupe d’experts, seules deux ONG ont été invitées comme observateurs, l’International Academy of Family Lawyers, association internationale d’avocats, représentée par Anne-Marie Hutchinson qui pratique elle-même des contrats de gestation par autrui[1] et appelle à la conclusion d’un traité international concernant la GPA[2], et le Service Social International qui affirme depuis 2016 la « nécessité urgente de réglementer la maternité de substitution à caractère international et les techniques de reproduction artificielle »[3].

 

Le Bureau Permanent pousse depuis le début pour l’adoption d’une convention destinée, dit-il, à éviter les dérives de la maternité de substitution, à assurer la sécurité juridique et à protéger les droits des enfants, des femmes et des autres personnes impliquées[4]. Il affirme ne pas prendre position sur le fond, la question de la maternité de substitution, en la comparant avec l’adoption : la Convention de 1993 sur l’adoption n’oblige pas les États à accepter l’adoption internationale. Le Bureau Permanent feint d’ignorer la radicale différence de nature entre adoption et maternité de substitution : alors que la première est instituée dans l’intérêt des enfants, la seconde les considère comme des objets fabriqués pour satisfaire le désir des adultes. Règlementer la maternité de substitution suppose d’en considérer le principe acceptable.

Voyant que la gestation par autrui reste pour le moins controversée, le groupe a assuré à l’origine s’intéresser à toutes les questions de filiation avec aspect international, avant d’expliquer cette année qu’une grande partie des problèmes internationaux en matière de filiation découlant de la maternité de substitution, une convention qui n’en traiterait pas n’aurait aucun intérêt pratique.

 

Février 2018 : la filiation en question

 

A la réunion de février 2018, après avoir rappelé « l’importance de la filiation en tant que statut duquel l’enfant tire un grand nombre de droits », le Groupe a défini la filiation comme « la relation entre le parent et l’enfant telle qu’établie par la loi », autrement dit lui a donné une définition purement positiviste, indépendante de tout lien avec la réalité.

 

Dès février 2016, le Groupe avait expliqué qu’il fallait se concentrer sur la reconnaissance de la filiation établie à l’étranger, présentée comme nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qui signifie en réalité l’obligation de s’incliner devant le fait accompli. Cette année, il a affirmé que « la reconnaissance des décisions judiciaires en matière de filiation devrait intervenir de plein droit ». Néanmoins, le Groupe « s’est dit convaincu que l’instrument ne devrait pas traiter les effets de la filiation impliquant des domaines qui ne relèvent pas de son champ d’application, comme la nationalité, les aliments ou la responsabilité parentale ». Ceci est en contradiction avec son affirmation selon laquelle l’enfant tire un grand nombre de droits de la filiation, énumérés dans le rapport de février 2016 : « l’identité, la nationalité, les obligations alimentaires, l’héritage ». Si la filiation est « la relation entre le parent et l’enfant », la séparer de la responsabilité parentale et des aliments n’a aucun sens. L’incohérence, voire la schizophrénie, de cette volonté de reconnaître la filiation sans ses effets révèle d’une part l’absurdité de la dissociation de la maternité, d’autre part les tensions au sein du Groupe.

 

Pas d’unanimité parmi les experts

 

Concernant la maternité de substitution, « les experts ont exprimé des positions divergentes quant à savoir si les règles de droit international privé générales en matière de filiation » devaient s’y appliquer, et si l’instrument envisagé devait ou non inclure ce sujet. Le Groupe a tout de même reconnu les inquiétudes persistantes et les considérations d’ordre public concernant notamment les filiations bancales et les risques d’exploitation. Il a également évoqué la PMA avec donneur, certains soulignant « l’importance pour les enfants de connaître leurs origines ».

Finalement, comme chaque année, le Groupe a demandé la poursuite de son mandat et les moyens y afférents afin de continuer ses travaux, prévoyant même deux réunions au lieu d’une avant février 2019.

 

La Conférence emploie avec art la technique du bélier : lorsqu’un sujet n’emporte pas l’adhésion des États membres, elle explique qu’il est complexe et exige des discussions plus approfondies. Cela permet de remettre le sujet sur la table à la réunion suivante, le Bureau Permanent ayant entre temps fourbi ses arguments.

 

[2] “The creation of a multilateral treaty on surrogacy arrangements is a priority and the IAML has committed the expertise of our members to the important work being undertaken worldwide to achieve this”.https://www.iafl.com/past-meetings/surrogacy-symposium/index.html. Cette association est cependant moins radicale que l’American Bar Association qui refuse toute règlementation de la maternité de substitution, fut-ce au nom des droits de l’homme, considérant que le marché suffit à sa régulation : https://www.americanbar.org/%20content/dam/aba/uncategorized/family/Hague_Consideration.authcheckdam.pdf.

Claire de La Hougue

Claire de La Hougue

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Docteur en droit, ancien avocat au Barreau de Strasbourg, chercheur associé à l'ECLJ

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