Fin de vie : « Agir de façon conforme à notre humanité »

7 Fév, 2023

Hubert Tesson, médecin-chef de l’une des unités de soins palliatifs de la clinique Sainte-Elisabeth à Marseille, exerce depuis trente ans auprès des personnes en fin de vie. Il a pris la parole pour témoigner lors de la 17e édition de la Marche pour la vie. Gènéthique reproduit ici son intervention.

Il y a 40 ans, en France, il n’était guère possible d’envisager sa fin de vie que sous 3 formes : mourir après « acharnement thérapeutique » en étant « réanimé jusqu’au bout », mourir après une « euthanasie par surdosages en médications dites à visée de confort », ou mourir seul, abandonné de la médecine, avec des douleurs physiques et psychiques non prises en compte.

Ces trois façons d’envisager de mourir n’ont rien d’enviables et ont été sources de beaucoup de souffrance pour les malades, mais aussi pour les familles et pour les soignants eux-mêmes.

Sortir de ces impasses 

Le mouvement des soins palliatifs est né du désir impérieux de sortir de ces impasses, considérées comme des impasses graves. 

Ce « non » à la violence faite aux malades en fin de vie, ce « non » à l’euthanasie, à l’acharnement thérapeutique, ce « non » au fait de laisser les malades seuls avec leur souffrance, tout ces « non » ont amené à toute une recherche pour répondre au mieux aux besoins des malades en fin de vie et de leurs familles.

En 30 ans, on a vu ces « impasses » reculer fortement, avec une raréfaction de l’euthanasie, un questionnement sur l’acharnement thérapeutique beaucoup plus présent, et une bien meilleure prise en charge de la souffrance des patients et de leur entourage. De nombreux médecins ont alors fait l’expérience que l’interdit de tuer, lorsqu’on se l’approprie, devient un merveilleux stimulant pour trouver des réponses face à la souffrance des malades.

Les « vraies » demandes d’euthanasies sont « plus que rares »

Il ne s’agit pas de tomber dans l’illusion de la toute puissance technicienne envers la souffrance physique ou psychique, mais de faire le constat qu’il est possible d’apporter une réponse adaptée à l’attente des patients. 

En plus de 30 ans d’expérience, je peux dire que je n’ai jamais eu de demandes d’euthanasies authentiques, répétées dans la durée, pour des motifs de douleur physique. Des demandes d’euthanasie pour souffrances psychiques me sont exprimées de temps en temps, mais mêlées toujours à un discours et à un comportement qui trahissent en même temps un désir de vivre. Les vraies demandes d’euthanasie émanant des malades eux-mêmes sont ainsi plus que rares dans ma pratique. 

« La pulsion de mort autour du malade est une réalité »

Les demandes d’euthanasie viennent beaucoup plus de l’entourage des patients. Le malade en fin de vie est une personne « défaillante ». Sa vulnérabilité met à mal celle des familles qui peuvent alors aspirer à la mort de leur proche. La pulsion de mort autour du malade est une réalité, parfois bien présente. Cette « pulsion de mort » des proches ne représente pas un danger, à condition que l’interdit de tuer soit bien inscrit dans la pratique médicale.

Cette « pulsion de mort » dans l’entourage des patients est une réalité bien naturelle. Elle peut être travaillée avec les proches, sans culpabilité, puisqu’elle ne sera pas suivie d’un passage à l’acte de la part du médecin. Cette absence de passage à l’acte contribue à préserver la paix à venir des survivants après la mort naturelle de celui-ci. L’expérience nous montre qu’une médecine extrêmement soucieuse du respect du malade est un des gages essentiels pour l’avenir des « survivants », qu’ils soient de la famille ou qu’ils soient des professionnels de santé. C’est là l’un des enjeux des soins palliatifs. 

« La demande d’euthanasie est une question posée qui attend une réponse, et non une solution »

L’immense majorité des médecins et des soignants qui exercent en soins palliatifs sont farouchement opposés à la légalisation de l’euthanasie. Ils font l’expérience que vouloir souffrir n’est pas naturel, mais que vouloir mourir ne l’est pas non plus. La demande d’euthanasie n’est pas un problème. Elle n’appelle pas à une « solution technicienne » apportée dans l’immédiateté. La demande d’euthanasie est une question posée qui attend une réponse, et non une solution. Une réponse qui se vit dans le soin de qualité, dans la rencontre, le travail d’équipe, dans une médecine qui donne sa place au silence, mais aussi à la joie et l’émerveillement.

En prodiguant des soins palliatifs de qualité, les médecins et soignants acceptent de répondre à un appel, une exigence pour tout homme : celle d’agir de façon conforme à notre humanité. 

« La vie transmet alors sa générosité »

Le médecin, soignant soucieux d’agir de façon conforme à son humanité, manifeste sa propre dignité à travers le soin. C’est aussi par ce soin attentif, ce contact de vie à vie, cette aide à une vie souffrante, qu’il va découvrir la profondeur de l’existence et la dignité du malade.

La vie transmet alors sa générosité. Elle donne foi pour le malade, mais aussi pour le soignant, en la capacité de traverser cette épreuve de la fin de vie. La vie transmet sa générosité, pour peu qu’on la vive. Elle n’abandonne pas ceux qui ne l’abandonnent pas. La pratique des soins palliatifs, dans un réel souci de l’homme, nous ouvre sur cette perspective, sur un émerveillement, aux antipodes d’une société dépressive et suicidaire que certains nous proposeraient.

Combattons le pessimisme. Le chemin réalisé par les soins palliatifs depuis 40 ans est énorme, mais insuffisant. Ne revenons pas en arrière, mais engageons-nous pour le vrai progrès. Celui qu’attendent les plus vulnérables et celui qu’attendent ceux qui en prennent soin au quotidien.

Photo : iStock

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