Délit d’interruption involontaire de grossesse

Publié le 2 Mar, 2003

L’intervention du législateur

Le 19 mars 2003,  dans le cadre du projet de loi contre la violence routière, les députés ont adopté la création d’un délit d’interruption involontaire de grossesse. Il réprime une « imprudence, une négligence et un manquement à une obligation particulière de sécurité et de prudence ayant entraîné la mort d’un enfant à naître » sans le consentement de la mère, de façon générale et plus particulièrement dans le cadre d’un accident de circulation. L’intervention du législateur s’avérait indispensable pour combler le vide juridique soulevé par l’arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2001. J.P. Garraud qui a déposé cet amendement,  a rappelé lors des débats : « Nous ne pouvons nous satisfaire du vide juridique qui persiste à ce sujet, alors que plusieurs cas d’accidents analogues surviennent chaque année. »

 

Les faits (affaire Grosmangin)

Le 29 juillet 1995, victime d’un chauffard conduisant en état d’ivresse, Sylvie G., enceinte de six mois, est blessée et par la violence du choc perd l’enfant qu’elle portait : ce fœtus était viable. La Cour de Reims, condamne le chauffard, non seulement pour les blessures causées à la mère, mais aussi pour homicide involontaire. La Cour d’appel de Metz, ne retient pas cette dernière incrimination estimant qu’il ne pouvait y avoir d’homicide qu’à l’égard d’un enfant dont le cœur battait à la naissance et qui à respiré. Le 29 juin 2001, la Cour de cassation, en assemblée plénière, confirme la décision de Metz. La Cour ne retient pas la qualification d’homicide involontaire au motif que le foetus ne peut être assimilé à une personne.

 

L’arrêt de la Cour de cassation

Qu’en est-il de l’interprétation de la loi pénale ? Pour écarter la prévention d’homicide involontaire, l’arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2001, s’est fondé en particulier sur un argument : « le principe de la légalité des délits et des peines qui impose une interprétation stricte de la loi pénale s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221‑6 du code pénal réprimant l’homicide involontaire d’autrui soit étendue au cas de l’enfant à naître ». Cette décision a fait contre elle la quasi-unanimité des commentateurs qui ont été nombreux à critiquer la motivation de l’arrêt.

 

Autrui : l’article 221-6 du nouveau code pénal définit l’homicide involontaire comme « le fait de causer par maladresse, imprudence, inattention… la mort d’autrui ». La question qui se pose n’est donc pas d’étendre au cas de l’enfant à naître cet article, comme l’a dit la Cour de cassation, mais de savoir si le terme autrui inclut ou non cet enfant. L’enfant à naître est-il autrui ? Le fœtus est bien autre dans la mesure où s’il n’a pas d’autonomie, il n’en a pas moins une vie biologique propre. Rien ne laisse penser que le législateur ait voulu exclure l’enfant à naître de la protection pénale, dès lors qu’il fit inscrire dans le code civil (en tête de l’article 16) « la loi garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. » L’avortement est la seule exception à ce principe.

 

Personne : certains estiment que le mot autrui correspond à la personne. Ils font référence à la personnalité juridique de l’être humain (la doctrine dominante la fait reposer sur une naissance en vie). Mais cette personnalité juridique n’est qu’une construction abstraite alors que le droit pénal ne s’intéresse qu’à l’être de chair et de sang.

 

Viabilité : certains enfin veulent lier la notion d’homicide à celle de viabilité mais la notion de viabilité est inconnue en droit pénal qui protège la vie et non l’aptitude à la vie.

 

Les retombées  de l’arrêt

L’importance de cet arrêt de la Cour de cassation, tient aussi à ses retombées morales et médicales :

– l’enfant à naître se voit privé de toute protection pénale. Mais comment des parents peuvent-ils admettre que l’enfant qu’ils attendaient et ont  perdu par la faute d’un tiers n’existait pas juridiquement et donc qu’ils n’ont rien perdu ?

 il existe une jurisprudence répressive condamnant le médecin pour blessures involontaires sur un fœtus ayant provoqué un handicap. Alors comment expliquer que dans le même temps le fœtus puisse être victime du délit de blessures involontaires mais ne puisse être victime du délit d’homicide involontaire ?

 

L’évolution de la jurisprudence

Par un arrêt du 2 décembre 1882, la Cour d’appel de Douai a condamné une femme qui, procédant illégalement à des accouchements, avait été à l’origine de la mort d’un enfant in utero. L’arrêt relevant que “pour n’avoir pas respiré, l’enfant n’en a pas moins vécu de la vie intra-utérine ; sa mort même est la preuve de son existence antérieure”. Depuis, le courant jurisprudentiel favorable à la protection pénale de l’enfant à naître s’est maintenu jusqu’à la période récente, même après la dépénalisation de l’avortement.

Pas de statut pour le foetus

Le délit d’interruption involontaire de grossesse a donc pour but de combler le vide juridique soulevé par la Cour de cassation. Il offre une protection à la mère. Un autre amendement avait été déposé en Commission (par M. Hunault), il visait à étendre la protection de l’enfant in utero. Mais il fut rejeté, le législateur refusant de se prononcer sur le statut  du fœtus.

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