CRISPR-Cas9 : Qu’en disent les premiers concernés ?

Publié le 23 Fév, 2016

CRISPR-Cas9, le nouvel outil de modification du génome qui permettrait notamment d’agir avant la naissance sur les gènes responsables de maladies, suscite un violent débat. Maintenant qu’il est possible « de violer une frontière éthique qui avait toujours été considérée comme infranchissable », les questions se posent de savoir si, et si oui, comment, on peut modifier le génome des embryons humains.

 

« Les technologies émergeantes ont déjà éprouvé les limites de ce que les gens jugent acceptables », et « les parents peuvent aujourd’hui exercer un contrôle sans précédent  sur ce qu’ils transmettent à leurs enfants ». Même s’il reste des barrières de sécurité techniques et légales, pour certains scientifiques et éthiciens, « il est important de se pencher maintenant sur les implications de la modification du génome » : « Quel sorte de monde créeraient ces procédures pour ceux qui vivent actuellement avec la maladie, et pour les générations futures ? »

 

Jusqu’à maintenant, on a peu écouté les personnes qui pourraient être directement affectées par la technique.

 

Ethan Weiss, scientifique-physicien à l’Université de Californie très au fait du développement rapide des techniques de modification du génome, et dont la fille est albinos avec une acuité visuelle dix fois inférieure à la moyenne, se prononce. Lui et sa femme n’auraient pas hésité à sauter sur l’occasion s’il avait été possible de modifier les gènes de cécité de Ruthie avant qu’elle ne naisse. Mais la réponse de celle-ci lorsqu’ils lui ont demandé « si elle souhaitait que son génome ait été modifié, ou si elle songeait à modifier celui de ses propres futurs enfants pour les aider à voir », l’a fait réfléchir. Aux deux questions, Ruthie a en effet répondu par la négative. Aussi pour Ethan Weiss, modifier le génome de sa fille « aurait été une erreur : le faire aurait aussi gommé certaines des choses qui font que Ruthie est spéciale, sa détermination par exemple ».

 

Au contraire, pour John et Charles Sabine, deux frères atteints de la maladie de Huntington, « il n’y a pas de débat éthique légitime possible concernant la façon dont la modification devrait être utilisée, pas plus qu’il n’y en a pour la manière dont on devrait traiter les personnes  déjà atteintes, ou épargner leurs enfants ».  « Quiconque doit affronter la réalité de l’une de ces maladies n’aura pas le plus petit remord à penser qu’il n’y a pas de problème moral du tout », affirme Charles Sabine.

 

En décembre 2015, au vu des multiples questions de sécurité et d’éthique, un meeting organisé par l’Académie américaine des Sciences et de la Médecine, l’Académie Chinoise des Sciences, et la Société Royale de Londres, a recommandé un moratoire. Malgré cela, de nombreux bioéthiciens et scientifiques ont soutenu que si des anomalies dans des gènes particuliers causant des conditions fatales et débilitantes pouvaient être corrigées dans un embryon, alors elles devaient l’être. Comme le généticien Dan MacArthur, de l’Université de Harvard, l’historien de la médecine et du handicap à l’Université de l’Illinois, Sandy Sufian, pense que CRISPR va potentiellement être massivement adopté pour deux raisons : parce qu’on pense que ça économisera l’argent qui aurait été dépensé pour le soin aux personnes handicapées, et parce que les gens ont peur du handicap.

 

Beaucoup de gens s’intéressent à la limite qui devrait être tracée, et les défenseurs du handicap pointent du doigt le fait que « la liste des états considérés comme maladies, et éventuellement susceptibles de traitement médical, s’allonge ». « De plus en plus, les gens considèrent l’obésité ou la prédisposition à l’alcoolisme comme une maladie », note Carol Padden, linguiste à l’Université de Californie. Comme elle, de nombreux chercheurs, sans s’opposer à l’idée de modifier le génome, pensent que la société a besoin de comprendre qu’il n’est pas possible d’éliminer tout handicap, et que les humains pourraient perdre quelque chose d’important s’ils essayaient.

 

Pour Rosemarie Garland-Thomson, spécialiste en littérature et co-directrice de l’Initiative pour les études du handicap à l’Université Emory en Géorgie, cette modification du génome « pourrait créer un climat social plus sévère pour tout le monde » : « à notre péril, nous sommes en train de décider quels modes de vie doivent être éliminées du monde ». Mark Leach, avocat dans le Kentucky et père d’une enfant trisomique de onze ans dénonce l’esprit de jugement de la société : « La possibilité d’agir en amont impose un discours du type : ‘Tu ne devrais pas seulement faire ce qui est bon pour toi, mais ce qui est bon pour la société’ ».

 

Chez les membres de la communauté des droits des handicapés, il y a un adage : « Rien sur nous sans nous ». Pour eux, les investissements dans le développement de CRISPR devraient être couplés à des investissements pour aider les personnes qui vivent déjà en situation de handicap.

 

Selon Lennard Davis, chercheur à l’Université de l’Illinois, la science et la technique doivent « prendre en compte que l’hypothèse imaginée sur ce que doit être la vie pour les gens qui sont différents est basée sur un préjugé dirigé contre le handicap ».

 

Nature (23/02/2016)

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