Covid-19 : se rappeler de « la profonde vulnérabilité humaine dans un monde qui a tout fait pour l’oublier »

Publié le 24 Mar, 2020

Dans une interview pour le journal Le Monde, Corine Pelluchon, professeur de philosophie à l’université Gustave Eiffel et membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, analyse la pandémie de coronavirus comme un rappel « en premier lieu, [de] la profonde vulnérabilité humaine dans un monde qui a tout fait pour l’oublier ». Une analyse partagée dans une tribune du journal Le Figaro par Michel Maffesoli, sociologue et professeur émérite à la Sorbonne, pour qui « la pandémie de coronavirus ébranle l’idéologie progressiste des sociétés modernes et sa prétention à tout résoudre ». Un « progressisme [qui] s’employait à justifier la domination sur la nature » et dont « les réformes dites ″sociétales″ (mariage pour tous, PMA-GPA, etc.) en [sont] les formes caricaturales ». « Ambition, prétention de tout maîtriser. »

Pour Corine Pelluchon « nos modes de vie et tout notre système économique sont fondés sur une forme de démesure, de toute-puissance, consécutive à l’oubli de notre corporéité ». Mais aujourd’hui, « nous qui nous pensions définis par notre volonté et nos choix, nous sommes arrêtés par cette passivité existentielle, par notre vulnérabilité, c’est-à-dire par l’altération possible du corps, par son exposition aux maladies et son besoin de soin et des autres ». Alors « plutôt que de vouloir dominer la nature, on s’accorde à elle », déclare le sociologue.

Et la philosophe le certifie « la conscience de cette vulnérabilité est une force ». Car « seule l’expérience de nos limites, de notre vulnérabilité et de notre interdépendance peut nous conduire à nous sentir concernés par ce qui arrive à autrui, et donc responsables du monde dans lequel nous vivons ». En effet, affirme Corine Pelluchon, « l’autonomie, ce n’est pas le fantasme d’une indépendance absolue, hors sol, mais reconfigurée à la lumière de la vulnérabilité, elle devient résolution de prendre sa part dans les épreuves communes ». Ce qu’atteste le sociologue : « l’angoisse de la finitude, finitude dont on ne peut plus cacher la réalité, incite (…) à rechercher l’entraide, le partage, l’échange, le bénévolat et autres valeurs du même acabit que le matérialisme moderne avait cru dépasser ».

Pour Michel Maffesoli, « la crise sanitaire porteuse de mort individuelle est l’indice d’une crise civilisationnelle, celle de la mort d’un paradigme progressiste ayant fait son temps. Peut-être est-ce cela qui fait que le tragique ambiant, vécu au quotidien, est loin d’être morose, conscient qu’il est d’une résurrection en cours. Celle où dans l’être-ensemble, dans l’être-avec, dans le visible social, l’invisible spirituel occupera une place de choix ».

« En nous rappelant brutalement notre fragilité, cette crise est aussi l’occasion de se poser la question de sa responsabilité », déclare Corine Pelluchon. Une « expérience du négatif [qui doit] se commue[r] en une réflexion sur nos limites », en l’« occasion d’une transformation individuelle et collective, afin que la conscience de notre vulnérabilité, de notre appartenance à un monde plus vaste que soi, de notre lien au vivant, devienne un savoir incarné et vécu qui transforme notre comportement ». La philosophe l’affirme : « La science et la technique ne suffisent pas ». Alors, « pour contrer la tentation de la démesure, de la toute-puissance – ce que les Anciens appelaient l’hubris -, c’est à nous de prendre le temps individuellement et collectivement de réfléchir à la société dans laquelle nous voulons vivre ».

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Le Figaro, Michel Maffesoli (23/03/2020) – Le Monde, Corine Pelluchon Propos recueillis par Claire Legros (24/03/2020)

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