Charlotte Seince se bat contre une maladie grave, elle réagit à la PPL Claeys-Leonetti

Publié le 21 Avr, 2015

A 30 ans, Charlotte Seince est une jeune femme souriante, intelligente, qui a étudié l’histoire de l’art et le droit. Pourtant, depuis sa naissance, elle vit avec une maladie chronique qui ne lui laisse aucun répit : « Je n’ai pas connu un jour sans douleur ». Il y a encore seulement 5 ans, 20% des enfants atteints du syndrome rare qui est le sien, ils ne sont que 100 dans le monde à en souffrir, n’atteignaient pas l’âge adulte. Depuis, un traitement a révolutionné leur espérance de vie. Aujourd’hui, alors que les débats au Sénat sur la fin de vie se profilent, elle réagit avec vigueur à la récente adoption par l’Assemblée nationale de la proposition de loi Claeys-Leonetti. Elle répond aux questions de Gènéthique.

 

Gènéthique : Comment avez-vous réagi quand la loi sur la fin de vie a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale ?

Charlotte Seince : J’ai l’impression d’être dans un train fou ! On a décidé de légiférer au lieu d’administrer. De remettre à plat, au lieu de perfectionner.

En ce qui concerne la sédation profonde, je pense ni plus ni moins qu’on dépossède les gens de leur mort. On prive l’agonisant, mais aussi la famille, des étapes essentielles à une fin de vie.

Pour les directives anticipées, la dérive était déjà contenue dans la loi de 2005, c’était une façon d’apprivoiser l’idée de la demande d’euthanasie. Ça partait d’une idée généreuse, mais écouter une demande d’euthanasie est davantage le rôle d’un psychologue. Ce n’est pas du ressort de la loi. Le législateur est allé trop loin.

 

G : Vous pensez que l’Etat devrait s’abstenir d’intervenir sur ces questions ?

CS : Je lutte depuis longtemps contre la douleur physique, morale, psychologique, je dois faire face à des souffrances intolérables. Je n’estime pas que la sédation terminale soit la réponse à la douleur et à la souffrance. J’ai besoin d’un accompagnement au quotidien mais pas forcément d’une réponse qui mette fin radicalement à toute douleur ! J’ai avant tout besoin de rencontrer un regard humain, vraiment compassionnel.

Pendant une courte période de ma vie, j’aurais préféré me laisser mourir de ma maladie plutôt que d’être traitée comme un chien. Il y a une maltraitance qui pousse à bout. J’essaie d’être vue d’abord comme une personne et quand on ne me voit pas comme ça, je me demande chaque fois ce que je fais là. Je pense que la façon dont vous encadrez une personne décide de la façon dont elle va se battre pour sa vie. Si c’est la responsabilité de la société de s’occuper des plus fragiles et des plus faibles, c’est un devoir civique et citoyen avant d’être un devoir politique. Si l’Etat soutenait les associations, la question ne se poserait pas à l’Etat.

 

G : Comment expliquez-vous cette dérive ?

CS : On a perdu tout repère sur ce qu’était la vie, tout se vaut. La vision de chacun l’emporte sur celle du bien commun, du bien de tous. On est dans une sorte de relativisme qui nous fait oublier la protection du plus faible. Je crains que la prochaine étape ne nous conduise à l’euthanasie, à visage découvert.

 

G : Mais la loi évoque la fin de la vie, en quoi vous sentez-vous concernée ?

CS : Aujourd’hui, on parle de l’euthanasie pour les malades incurables. Je me suis battue pour vivre et, comme tout le monde, j’arriverai à mon lit de mort. Ma crainte, c’est qu’on en vienne à décourager les gens porteurs de maladies potentiellement mortelles. C’est une insulte à l’égard des malades et aussi à l’égard de ceux qui se battent non pas pour leur survie, mais pour leur vie. Je pense aux médecins et aux chercheurs qui les entourent, les accompagnent. Ce que je vois, c’est leur passion du soin apporté à l’autre. 

 

G : Que craignez-vous ?

CS : Je vois cette loi comme un arrêt de mort. Et de fait, on est sur une pente savonneuse parce que la recherche nécessite des fonds faramineux qu’on n’a pas toujours. Si légalement il existe une solution bien moins coûteuse, pourquoi ne pas s’en servir ? Aujourd’hui, 96% des enfants trisomiques à naître ne voient pas le jour. Demain, est-ce que les autres maladies jugées insupportables subiront le même sort ? Et qui juge de ce qui est intolérable, insupportable ? Toutes ces lois sont porteuses d’un regard extrêmement négatif sur la maladie et sur le plus faible. Si la peur est légitime face à la souffrance, au handicap, l’homme n’est-il pas appelé à se dépasser ? 

Ma vie dépend de la recherche. Aujourd’hui, je suis hors de danger mais pour combien de temps ? La maladie évolue et je m’affaiblis. En ce moment, je ne suis pas en capacité de travailler. Si la recherche pour sauvegarder la vie est supprimée, il n’y aura plus d’évolution possible. Est-ce qu’on ne cherche pas à bâtir un monde sans personnes défaillantes ? C’est une utopie.

 

G : Vous parliez du regard que la société pose sur le plus faible. Que voulez-vous dire ?

CS : Je vais vous prendre un exemple : quand je parle de mon désir d’avoir un jour, si je me mariais, un enfant, on me rétorque que je suis monstrueuse de vouloir mettre au monde un futur grand malade ou bien on me propose d’avorter jusqu’à ce que j’attende un enfant « sain ». Est-ce que c’est une façon de me dire que je n’aurais pas du vivre ? Ça fait très mal. Cette mentalité ambiante me fait peur. La société actuelle est paradoxale : on va monter des tas d’associations pour aider les SDF, les plus défavorisés, les personnes handicapées et en même temps, mine de rien, on cherche comment s’en débarrasser de façon insidieuse, discrète, pour que ça ne dérange personne.

Mais, je suis heureuse de vivre !… Être malade n’est pas un obstacle au bonheur ! Même si j’ai assez peu de goût pour la définition actuelle du bonheur… Et je voudrais m’engager pour aider la société à prendre conscience qu’on n’apporte pas les bonnes réponses. La « nouvelle générosité » de la loi Claeys-Leonetti n’est pas ajustée. Tout ne se justifie pas. La générosité ne doit pas être seulement une affaire d’émotivité, elle doit aussi s’enraciner dans un raisonnement. Un raisonnement qui doit se tourner vers le bien commun, vers l’ensemble de ceux qui composent la société.

 

G : Que souhaiteriez-vous faire ?

CS : Aujourd’hui qui s’est exprimé sur cette loi ? Des hommes politiques, des philosophes, quelques médecins, quelques infirmières. Qui n’a-t-on pas entendu ? Ceux pour lesquels on légifère aujourd’hui. En discutant avec des personnes handicapées, je me rends compte que nous avons du mal à exprimer notre joie de vivre, à dire notre légitimité à faire partie de la société. Nous avons peur d’un regard encore trop négatif sur nous. Personnellement, il y a très peu de temps que j’ose assumer publiquement mes propos. Nous sommes fragiles et nous redoutons de prendre des claques. Pourtant, nous avons droit à la parole, au même titre que les autres, et je crois que nous, malades, nous devons apprendre à nous laisser surprendre par la force qui est en nous. Je voudrais diffuser une tribune signée par des personnes malades ou handicapées qui puisse exprimer leur opposition farouche à cette loi, mais aussi leur joie et leur désir de vivre.

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