« S’accepter et se montrer vrai »

25 Oct, 2023

Camille, qui souffre d’un syndrome polymalformatif, nous apprend à nous libérer du regard des autres, et à ne pas avoir peur de nos fragilités. Muriel Derome, psychologue en réanimation et neurologie pédiatrique à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, raconte sa rencontre avec elle.

Ce témoignage est extrait du livre « Le courage des lucioles » de Muriel Derome. Il est publié aux éditions Philippe Rey.

Camille souffre d’un syndrome polymalformatif, une maladie caractérisée par plusieurs malformations, et notamment une très forte scoliose. Dans un premier temps, je suis incapable de soutenir son regard. La « laideur » de son corps me semble insupportable. Je ne sais pas comment me comporter, quoi faire de mes bras, de mes jambes, ni comment lui adresser la parole.

« Ça fait peur au début, mais tu vas t’y faire »

La gêne est accrue par sa tenue vestimentaire : elle porte une nuisette à fines bretelles qui découvre ses épaules rachitiques. « Si j’étais dans cet état-là, je me cacherais sous les draps ! » pensais-je. Elle, elle les a roulés à ses pieds, et elle a bien raison, car c’est l’été et il fait plus de trente degrés dans sa chambre. Je tente de réprimer ma répulsion. Je me sens honteuse de ce sentiment. Je dois accueillir Camille, lui tendre la main. Ne suis-je pas là pour l’accompagner ? Comment lui révéler sa beauté intérieure, ses forces et ce qu’elle a d’unique et de profondément merveilleux si je n’ose pas la regarder ?

En fait, c’est Camille qui, percevant mon malaise, le désamorce : « Tu verras, tu vas t’habituer. Ça fait peur au début, mais tu vas t’y faire. Au fait, je m’appelle Camille. Et toi ? ». J’apprends qu’elle a vingt ans, étudie la sociologie, et qu’un pari sur la vie l’a conduite ici, à l’hôpital. Elle s’apprête à subir une opération très périlleuse. Elle sait qu’elle risque de mourir, mais ce risque est le prix à payer pour espérer pouvoir continuer à vivre en fauteuil roulant.

Au fil des jours, la première image de Camille, ce corps repoussant à peine couvert d’une nuisette, est devenue une abstraction complètement déconnectée de la réalité, qui est tout autre : cette fille rayonne !

« Etre à l’aise avec son corps abîmé »

Tout le monde dans le service partage ce sentiment. Je m’aperçois qu’il y a sans cesse des gens dans sa chambre et des rires qui fusent. Les infirmières vont y faire leur pause et discuter cinq minutes avec elle.

Au-delà de son apparence, Camille a un don pour faire du bien autour d’elle. Elle est gaie, positive. Le plus surprenant chez elle, c’est sa façon d’être à l’aise avec son corps abîmé, une attitude qui pousse chacun à s’accepter et à se montrer vrai. Petit à petit, chacun vient se ressourcer auprès de Camille. Elle est devenue le rayon de soleil du service.

Un sixième sens

C’est tout juste si on ne fait pas la queue pour aller lui raconter son week-end, prendre une leçon de vie :

– Alors, tes vacances, ça s’est passé comment ? demande-elle.

– Bof… je me suis encore engueulé avec ma femme, répond un kinésithérapeute.

– Tu ne l’aimes plus ?

– Bien sûr que si !

– Il faut le lui dire ! Mais tu ne lui dis pas comme d’habitude, d’accord ? Tu le lui écris sur un petit mot ou sur le miroir de la salle de bains !

De son lit, elle distribue ses conseils, ses compliments, ses encouragements. La maladie n’a pas attaqué son sens de l’humour ni son attention aux autres, c’est presque un sixième sens.

Quand elle me voit arriver, les traits tirés, elle me lance :

 – Toi, tu as eu une nuit blanche. Ton fils n’a pas dormi ?

–  Il s’est réveillé cinq fois.

–  Alors il y a du progrès ! Ça fait une fois de moins que l’autre jour.

Je n’avais pas vu les choses sous cet angle. Mais ô combien elle a raison ! Et je me sens alors plus en forme, plus réveillée, revigorée par les paroles de Camille.

 

Cet extrait est publié avec l’accord de l’auteur.

 

Photo : iStock

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