Xavier Ducrocq : « Faire mourir Vincent Lambert, c’est enterrer Hippocrate »

Publié le 4 Juil, 2019

Alors que Vincent Lambert est entre la vie et la mort, le professeur Xavier Ducrocq, neurologue, explique la gravité des dérives euthanasiques qui ont conduit à cet acte inhumain.

 

Gènéthique : Le Docteur Sanchez vient d’arrêter l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert, comment réagissez-vous à ce qui est en train de se passer ?

Xavier Ducrocq : Mon premier sentiment, c’est la tristesse et derrière, une sourde colère parce que ce qui arrive est injuste. Cette décision est fabriquée à partir d’un tissu de mensonges successifs dont le premier a été de faire dire à Vincent Lambert qu’il voulait mourir. Or, il n’a jamais pu exprimer une volonté certaine de mourir, ni même l’écrire. Ce mensonge transmis par l’équipe médicale a été cru par une partie de la famille quand l’autre a réagi. En 2013, suite à la malheureuse décision d’arrêter l’alimentation et de suspendre l’hydratation – Vincent a résisté pendant 30 jours à ce traitement inhumain – la famille s’est divisée. Si je pense qu’une réconciliation autour de Vincent vivant serait possible, cette fracture sera définitive une fois Vincent décédé.

Sur le plan médical, on va provoquer délibérément la mort d’une personne qui n’est pas en fin de vie mais qui est seulement grand handicapé parce qu’ « on » a estimé que sa vie était insoutenable et qu’elle ne valait plus la peine d’être vécue. Pourtant, comme neurologue, je constate moi-même que des personnes dans des situations incroyablement difficiles font preuve d’une volonté de vivre et d’une lutte pied à pied contre la mort. Depuis 6 ans, Vincent Lambert vit, seulement assisté pour l’alimentation et l’hydratation et on va le faire mourir à une heure donnée parce qu’on estime indécent qu’il vive.

L’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation accompagné d’une sédation est une action qui en elle-même et dans son objectif n’a d’autre visée que de provoquer la mort de Vincent Lambert. C’est une euthanasie qui ne dit pas son nom.

 

G : Jean Léonetti est intervenu dans de nombreux médias ces derniers jours pour expliquer que la mort de Vincent Lambert était conforme à la loi qui porte son nom et que ce n’était pas un « assassinat ». Qu’en pensez-vous ?

XD : Toutes les instances judiciaires, qui s’appuient sur la loi Leonetti, estiment qu’il est parfaitement légal de mettre fin à la vie de Vincent Lambert. Pourtant c’est une vraie régression qui nous ramène à l’époque du procès de Nuremberg. Hannah Arendt, journaliste et philosophe, qui a assisté au procès Eichmann, parlait de la « banalité du mal ». On y est. La ministre de la santé est allée jusqu’à dire que Vincent Lambert n’était pas handicapé. Le Président de la république qui a expliqué qu’il ne pouvait pas intervenir auprès de la justice sur cette affaire, il s’est pourtant pourvu en cassation. Aujourd’hui, on ne prend pas la mesure de la gravité de ce qui est en train de se passer. On justifie la mort au nom de la pitié, ce que les américains appellent le « mercy killing », la mort de miséricorde, l’argument compassionnel en français. Il n’y a pas de compassion dans le fait de donner la mort (cf. « L’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe sensible » (Bernanos)). C’est une pitié dévoyée.

Au sujet des propos de Jean Léonetti, beaucoup vont se rendre compte de ce que contient effectivement sa loi. L’euthanasie devient une évidence. L’absence du mot ne supprime pas la réalité des faits. Il est symptomatique que, lors des préliminaires de la loi Claeys-Leonetti, l’Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés crâniens et de Cérébro-lésés n’ait pas été auditionnée. L’intention du législateur était claire : permettre de donner la mort à ces personnes. Et la loi n’a « évolué » que dans ce sens alors qu’il aurait été pertinent de préciser les définitions de l’obstination déraisonnable et de travailler autour de la procédure collégiale. Vincent Lambert est le premier d’une série dont il est à craindre qu’elle soit longue. Ce qui est dramatique, c’est que, dans ce contexte, les soins palliatifs s’accommodent de cette situation. Cette anesthésie est redoutable parce qu’on est en train de changer profondément la pratique médicale : faire mourir Vincent Lambert c’est enterrer Hippocrate, c’est introduire un nouveau paradigme où donner la mort devient une option thérapeutique. Et ce qui était un « choix » inscrit dans la loi va devenir un devoir : certains auront le devoir de mourir !

 

G : Comment les choses vont-elles évoluer pour Vincent Lambert ? Les parents de Vincent Lambert sont-ils auprès de lui ?

XD : Ces deux derniers jours, il semble qu’on ait administré des calmants au patient. L’alimentation va être arrêtée aujourd’hui, un minimum d’hydratation sera utilisé pour passer le produit sédatif.

Selon les jours pairs ou impairs, les différents bords de la famille qui s’opposent pourront venir quelques heures auprès de Vincent. La plupart du temps, il sera seul. Seul, handicapé, face à la mort. La sédation va abolir sa conscience et le priver de ce dernier faible maillon relationnel qui le liait à ceux qui l’entourent.

Quand la procédure a été engagée le 20 mai dernier, Rachel Lambert avait pu passer une nuit auprès de lui. Une seule. Avec cette procédure, Vincent Lambert, qui a prouvé sa résistance lors de la première procédure de 2013, peut mettre entre 4/5 jours et un mois à mourir. C’est finalement le niveau de sédation qui va décider de sa mort. Cette mise en scène est particulièrement inhumaine compte tenu de la fin poursuivie.

 

G : Ce passage en force est-il justifié ? Quel sens revêt-il pour le corps médical ? Pour l’avenir des patients en état végétatif ou pauci-relationnel ?

XD : Vincent Lambert est le premier d’une longue liste. Sur la base de la loi Leonetti, on va créer un devoir de mourir ; les personnes âgées le disent déjà qui ne veulent plus être un « poids » pour leur famille. C’est dramatique.

Je ne peux pas m’empêcher de me rappeler cette citation de Jean Rostand[1] : « Je pense qu’il n’est aucune vie, si dégradée, si détériorée, si abaissée, si appauvrie soit-elle, qui ne mérite le respect et ne vaille qu’on la défende avec zèle. J’ai la faiblesse de penser que c’est l’honneur d’une société que d’assumer, que de vouloir ce luxe pesant que représente pour elle la charge des incurables, des inutiles, des incapables; et je mesurerais presque son degré de civilisation à la quantité de peine et de vigilance qu’elle s’impose par pur respect de la vie… Quand l’habitude sera prise d’éliminer les monstres, de moindres tares feraient figure de monstruosités. De la suppression de l’horrible à celle de l’indésirable, il n’y a qu ‘un pas… Cette société nettoyée, assainie, cette société où la pitié n’aurait plus d’emploi, cette société sans déchets, sans bavures, où les normaux et les forts bénéficieraient des ressources qu’absorbent jusqu’ici les anormaux et les faibles, cette société renouerait avec Sparte et ravirait les disciples de Nietszche: je ne suis pas sûr qu’elle mériterait encore d”être appelée une société humaine ».

 

G : Des études montrent que des moyens existent pour tester le niveau de conscience des patients. Lesquels ? Pourquoi n’ont-ils pas été utilisés ?

XD : En 2006, une première publication a bouleversé le regard sur ces personnes en état de conscience altérée : état végétatifs ou pauci-relationnels. L’IRM fonctionnelle a permis d’analyser les réactions du cerveau aux stimulations avec la question de distinguer celles qui étaient réflexes, de celles qualifiées de volontaires. L’étude a donné des résultats étonnants. Les réactions observées chez une patiente ont montré que ses différentes réactions étaient superposables à celles de personnes parfaitement conscientes et suggéraient que ces réponses n’étaient pas réflexes. Cette expérience s’est reproduite chez d’autres patients. L’un d’entre eux a recouvré plus tard des moyens de communication et a pu exprimer que ce moment avait été le meilleur de sa vie : on était entré en contact avec lui par le biais de l’IRM fonctionnelle. Le Professeur Laureys estime que, dans 40% des cas, on étiquette en état végétatif des personnes relationnelles en état de conscience minimale[2]. Comme je le dis souvent, l’absence de preuve de conscience n’est pas la preuve d’absence de conscience. Aussi, la prudence s’impose !!

Je fais souvent ce parallèle historique. A une époque pas si lointaine, on a pu considérer les sourds muets comme des demeurés. Or, on s’est aperçu que leur conscience était développée et on a pu communiquer avec eux en mettant au point un langage. Ils sont dans un monde différent du nôtre et ne souhaitent pas forcément être appareillés, mais leur intelligence est aussi développée que la nôtre.

De même pour les personnes en Locked-In Syndrome qu’on a longtemps crues en état de coma. Un jour, on s’est aperçu que ces personnes étaient parfaitement conscientes, qu’elles avaient des capacités intellectuelles intactes. Certaines ont écrit des livres. Que se serait-il passé si on les avait éliminées ?

La même prudence s’impose pour les personnes en état de conscience altérée. L’avenir va nous réserver des surprises au fur et à mesure que des outils vont se développer, on va pouvoir mieux connaître l’état de conscience de ces personnes. Un travail français récent (Naccache 2019[3]) a montré que les observations cliniques des soignants étaient aussi pertinentes que les résultats obtenus par des investigations sophistiquées. C’est dire l’intérêt d’une observation clinico-comportementale prolongée, ce dont Vincent Lambert n’a malheureusement bénéficié à aucun moment dans les expertises dont il a fait l’objet.

En 2018, une étude sur la stimulation du nerf vague, conduite par le Pr. Luauté à Lyon[4], où l’état de conscience de la personne s’est améliorée, a été tournée en dérision. Pourtant, des cas de récupération après des années de conscience altérée ont été signalés. Et quand les personnes se « réveillent », elles ne demandent pas à mourir ! Il est impératif de mener des recherches dans ce domaine. Comme pour la trisomie 21, il est urgent de trouver un traitement sinon ces patients vont être éliminés. Au-delà de l’état de conscience, il y a une vie et elle est respectable. Si nous éliminons les plus vulnérables, nous allons tomber dans la barbarie. Après les patients en état de conscience altérée, quelles seront les prochaines victimes ?



[1] Le courrier d”un biologiste.

[2] Science. 2006 Sep 8;313(5792):1402 – Detecting awareness in the vegetative state, Owen AM, Coleman MR, Boly M, Davis MH, Laureys S, Pickard JD.

[3] Wisdom of the caregivers: pooling individual subjective reports to diagnose states of consciousness in brain-injured patients, a monocentric prospective study. Hermann B, Goudard G, Courcoux K, Valente M, Labat S, Despois L, Bourmaleau J, Richard-Gilis L, Faugeras F, Demeret S, Sitt JD, Naccache L, Rohaut B ; Pitié-Salpétrière hospital Neuro-ICU.

[4] Volume 27, Issue 18, 25 September 2017, Pages R994-R996 – Restoring consciousness with vagus nerve stimulation, Author links open overlay panel, MartinaCorazzol, GuillaumeLio, ArthurLefevre, GianlucaDeiana, LaurenceTell, NathalieAndré-Obadia, PierreBourdillon, MarcGuenot, MichelDesmurget, JacquesLuauté, AngelaSirigu.

 

 

Xavier Ducrocq

Xavier Ducrocq

Expert

Le Docteur Xavier Ducrocq est docteur en Médecine, spécialisé en neurologie depuis 1986. Il est praticien hospitalier au Service de neurologie du CHRU de Nancy depuis 1989, et professeur de neurologie à l'université de Lorraine depuis 2001. Il est coordonnateur médical de l'Unité Neurovasculaire Meuse depuis janvier 2015 et depuis septembre, chef du service de neurologie du CHR de Metz-Thionville. Il est spécialisé dans le domaine des maladies cérébrovasculaires (AVC) et responsable médical du programme Télémédecine-AVC en Lorraine. Il a été Président du Comité d'éthique du CHRU de Nancy et de l'Espace lorrain d'Ethique de la Santé de 2007 à 2015.

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