Vincent Lambert : un destin suspendu

Publié le 23 Jan, 2019

La vie de Vincent Lambert est toujours suspendue à une décision de Justice. Lundi dernier, 21 janvier, une nouvelle audience au Tribunal administratif de Chalons-en-Champagne devait une fois de plus statuer sur le destin de ce patient en état pauci-relationnel depuis plus de 10 ans. Jean Paillot, avocat des parents de Vincent Lambert, fait le point de l’affaire pour Gènéthique.

 

Gènéthique : Quel était l’objet de l’audience qui a eu lieu lundi au tribunal administratif ?

Jean Paillot : L’audience de ce 21 janvier était consacrée à déterminer si la décision du docteur SANCHEZ d’arrêter l’alimentation et l’hydratation de Vincent LAMBERT était justifiée ou non, au regard du rapport d’expertise déposé. Elle était également de déterminer si une nouvelle expertise était ou non nécessaire, au regard de la méthode d’évaluation inappropriée choisie par les experts judiciaires, alors que les bonnes pratiques médicales applicables aux patients EVC/EPR demandent la mise en place d’un protocole spécifique, qui n’a ici pas été rempli, sans que les experts expliquent pour quelle(s) raison(s) ils ne l’ont pas utilisé. 55 médecins et cadres de soin de la filière EVC/EPR ont écrit au tribunal pour s’indigner du protocole utilisé, qui ne permet en réalité pas d’obtenir un résultat rigoureux (cf. Vincent Lambert : 55 médecins contestent la validité de l’expertise médicale et Conclusions d’expertise sur l’état de santé de Vincent Lambert : il n’y a pas d’obstination déraisonnable !). La difficulté vient de ce que les experts judiciaires nommés ne sont en réalité pas des médecins qui ont l’habitude des soins à donner à ce type de patients lorsqu’ils sont consolidés. Les deux médecins choisis sont des neurochirurgiens, qui interviennent habituellement avant consolidation. Ils ont décrété, au vu de l’IRM réalisée en 2014, que Vincent ne pouvait pas avoir de conscience, et ils ont procédé à un seul examen comportemental, là où les bonnes pratiques en réclament au minimum 5 sur 10 jours, après stimulations, en présence de la famille ou des aidants auxquels ces patients sont habitués, pour éviter le phénomène de fluctuations de l’état de ces patients.

Dans notre cas, c’est comme si on avait à juger de l’état de la vision d’un malvoyant, en l’enfermant dans une pièce toute noire et en lui demandant ce qu’il voit. Rien ? C’est donc qu’il est aveugle. Le résultat obtenu par ces experts judiciaires était erroné parce que la méthode d’évaluation était erronée.

Ce qui spécialement regrettable, c’est que nous avons écrit aux experts judiciaires qu’il y a un protocole spécifique ; ils n’en ont pas tenu compte. Bien pire, le président du tribunal est venu en personne le jour de la réunion d’expertise pour nous interdire et interdire à nos médecins conseils, issus de la filière EVC/EPR, d’évoquer cette problématique de méthodologie. Voilà pourquoi, au regard de l’attitude du président du tribunal, nous avons formé, parallèlement à cette procédure, une demande de récusation, puis une demande de suspicion légitime. Sommes-nous en présence d’un tribunal impartial lorsque celui-ci, au moment de juger de l’état de Vincent, a déjà considéré (par mémoire écrit adressé à la cour d’appel administrative) que l’expertise se serait merveilleusement bien passée et que les experts auraient rempli toute leur mission : et ceci, alors qu’il nous a été interdit de discuter du protocole d’évaluation ?

 

G : L’audience laisse l’impression d’un dialogue de sourd entre le Tribunal et la famille, qu’en est-il ?

JP : Lors de l’audience du 21 janvier, nous avons pu longuement nous expliquer sur la méthode d’évaluation à utiliser et sur le fait que les conclusions des experts, fondés sur une méthode d’évaluation erronée, ne pouvaient être suivies. Mais pourquoi ce débat n’a-t-il pas pu avoir lieu pendant l’expertise ? Pourquoi nous avoir interdit d’en discuter en présence des experts, dans le cadre d’une discussion médicale, entre médecins experts (les experts judiciaires et nos experts privés) ? C’est une situation absurde ! Elle a contribué à créer un climat malsain, jusqu’à nous faire douter de l’impartialité de ce tribunal, ce qui est tout de même hors du commun (et ne m’était personnellement jamais arrivé).

 

G : 55 médecins ont écrit au tribunal pour dénoncer l’expertise médicale qui a eu lieu à la fin de l’été dernier. Quel impact peut-elle avoir ?

JP : Le tribunal peut parfaitement convenir que la méthode utilisée n’était pas la bonne et ordonner une nouvelle expertise. Il peut également demander un complément d’expertise, en demandant à un sapiteur issu de la filière EVC/EPR de procéder à une étude comportementale digne de ce nom, permettant d’établir l’état actuel du patient, et surtout son état potentiel, dans l’hypothèse où il serait enfin correctement pris en soins et stimulé comme il doit l’être dans un établissement spécialisé, le temps de l’expertise.

 

G : Vous avez déposé un recours auprès du Conseil d’Etat, en même temps, le Tribunal vient d’annoncer qu’il donnerait son verdict dans 10 jours. Quel recours restera-t-il si le Tribunal décide la poursuite de la 4e procédure collégiale ?

JP : Ce sont deux procédures distinctes : devant le Conseil d’Etat, nous avons fait appel du refus par la cour d’appel administrative de changer de tribunal, à raison de la partialité que nous lui reprochons. Vous noterez que le tribunal administratif, malgré notre appel devant le Conseil d’Etat sur son défaut d’impartialité, nous a refusé le moindre délai, s’est précipité pour audiencer l’affaire et nous obliger à plaider devant un tribunal dont nous contestions l’impartialité. Ceci est évidemment contraire au droit à un recours effectif, et donc au droit à un jugement équitable.

Le tribunal administratif nous ayant entendu le 21 janvier, a mis son verdict en délibéré à dans une dizaine de jours : c’est plutôt bon signe, cela signifie qu’il va prendre le temps de lire nos mémoires et pièces, qui sont volumineux.

Dans l’hypothèse d’une décision qui ne nous serait pas favorable, et dont les motifs seraient erronés ou contestables, nous pourrions saisir le Conseil d’Etat par voie d’appel. C’est naturellement également le cas pour nos adversaires.

 

G : Pensez-vous que Vincent Lambert puisse être pris en charge dans un établissement spécialisé ?

JP : Non seulement Vincent LAMBERT peut être pris en charge dans un établissement spécialisé, mais il pourrait également être pris en charge à la maison. Son seul « traitement » étant son alimentation par sonde entérale, il pourrait parfaitement sortir du CHU. Ceci a, au demeurant, été rappelé par les experts judiciaires, qui ont conclu leur rapport en précisant que Vincent n’est pas dans une situation d’obstination déraisonnable, qu’il ne souffre pas, qu’il ne nécessite aucune sédation, et qu’il pourrait parfaitement être placé en établissement de soins spécialisé.

C’est la raison pour laquelle nous avons également demandé, une nouvelle fois, son transfert.

Son transfert est la seule façon raisonnable de sortir de ce dossier : laissons faire les médecins qui ont l’habitude de ce type de patients.

Jean Paillot

Jean Paillot

Expert

Avocat au barreau de Strasbourg depuis 1992, expert au Conseil de l’Europe pour le compte du Saint-Siège depuis 2012. Enseignant en droit de la Santé à l’Institut Politique Léon-Harmel (DU d’Ethique biomédicale délivré par l’Université Catholique d’Angers) depuis 2007.

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