Vincent Lambert et ses médecins successifs devant le Conseil d’État

Publié le 11 Juil, 2017

« Pas de droit à la mort », réaffirmation de l’indépendance du médecin…, Jean Paillot, Avocat à Strasbourg, avocat des parents de Vincent Lambert et enseignant en droit de la santé, rappelle pour Gènéthique les éléments clés de la procédure administrative pour mieux comprendre l’avis du rapporteur public présenté lors de l’audience qui s’est tenue le 10 juillet 2017 au Conseil d’Etat.

 

Le 10 juillet 2017, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a examiné à nouveau la situation de Vincent Lambert, un homme de 40 ans, polyhandicapé à la suite d’un accident de moto et notamment en état pauci-relationnel (c’est-à-dire sorti du coma, mais en ayant très peu de relations avec son entourage du fait de ses lésions cérébrales). Il a fait l’objet de trois procédures collégiales successives, engagées dans le but d’arrêter le « traitement » qui lui est administré, à savoir son alimentation et son hydratation par sonde gastrique.

 

Trois procédures collégiales

 

La première procédure collégiale a été annulée en mai 2013 pour absence de demande d’avis de la famille.

 

La deuxième procédure collégiale a été annulée en janvier 2014 par le tribunal administratif, qui a considéré qu’on ne se trouvait pas dans un cas d’obstination déraisonnable ; mais elle a été validée par le Conseil d’Etat qui, après avoir estimé en février 2014 que l’alimentation entérale était un traitement relevant de la loi Léonetti et qu’il y avait lieu d’ordonner une expertise médicale, a estimé au contraire en juin 2014 qu’il y avait bien obstination déraisonnable dans son cas particulier. Et la Cour européenne des droits de l’Homme, saisie à son tour, a considéré en juin 2015 que la France ne violait pas la Convention européenne des droits de l’Homme en statuant de cette façon.

 

En cours de procédure devant la Cour européenne des droits de l’Homme, le docteur Kariger, premier médecin de Vincent Lambert qui avait initié ces deux procédures collégiales, a démissionné du CHU de Reims.

 

Le docteur Simon, qui l’a remplacé, a engagé le 15 juillet 2015 une troisième procédure collégiale. Cette procédure collégiale s’est terminée le lendemain 16 juillet 2015, sans que le docteur Simon ait consenti à écouter les arguments médicaux des parents de Vincent faisant état des évolutions favorables de celui-ci, et le docteur Simon a convoqué l’épouse, les parents, frères et sœurs de Vincent pour le 23 juillet 2015, date à laquelle elle leur annoncerait sa décision. Or le 23 juillet 2015, comme un coup de théâtre, le docteur Simon a annoncé qu’elle suspendait sa décision pour les raisons officielles d’absence de sérénité et d’absence de sécurité de Vincent Lambert et de l’équipe médicale, et qu’elle saisissait le procureur de la République d’une demande de mise sous tutelle de Vincent Lambert.

 

Nouvelle bataille judiciaire engagée par le neveu de Vincent Lambert

 

C’est à la suite de cette décision de « suspension » de la procédure collégiale (mais s’agissait-il réellement d’une suspension ?) que François Lambert – et lui seul, l’épouse de Vincent Lambert ayant refusé de se joindre à cette procédure – a saisi le tribunal administratif à la fois d’une absurde demande de référé-liberté (il y réclamait la suspension de la décision de suspension…) et à la fois d’une demande au fond tendant à ce que soit déclarée illégale la décision de suspension, et que soit appliquée la décision médicale du 11 janvier 2014 décidant l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert, invoquant l’illégalité de la troisième procédure collégiale qui n’aurait jamais dû être engagée.

 

Tant les parents de Vincent Lambert que le CHU de Reims se sont opposés à ces demandes, les parents de Vincent prétendant en outre que François Lambert est irrecevable à agir. Le tribunal administratif, a considéré toutefois que François Lambert avait ici un intérêt à agir. Et après avoir rappelé qu’une décision médicale prise dans le cadre de la loi Léonetti peut être soumise au contrôle du juge, mais qu’une décision de suspension de la procédure collégiale n’est qu’un acte préparatoire qui ne peut être contesté devant le juge, le tribunal a rejeté ces demandes par décision du 9 octobre 2015, estimant qu’en vertu du principe d’indépendance du médecin, le docteur Simon n’avait pas d’autre choix que d’entreprendre une nouvelle procédure collégiale si elle estimait son patient être dans une situation d’obstination déraisonnable, et ne pouvait se contenter d’exécuter la décision médicale du 11 janvier 2014 prise par son prédécesseur.

 

François Lambert a relevé appel de cette décision. Par arrêt du 16 juin 2016, la Cour administrative de Nancy a confirmé l’analyse du tribunal administratif sur la recevabilité de l’action de François Lambert et sur la nécessité pour le nouveau médecin de prendre lui-même une décision, le seul fait que le premier médecin ait démissionné rendant sa décision caduque ; de sorte que « Monsieur François Lambert  ne peut en tout état de cause faire état d’un droit que M. Vincent Lambert pourrait tenir de cet acte » et qu’il ne peut donc exciper ici d’un droit à la mort. La Cour précise que l’indépendance du médecin s’oppose à ce que le docteur Simon (2e médecin) soit obligée de prendre une décision identique à celle du docteur Kariger (1er médecin) et que cette indépendance n’est pas contraire au principe de continuité des soins. En revanche, s’agissant de la suspension de la procédure collégiale, la Cour a eu une autre analyse que le tribunal administratif et a considéré que cette suspension était une décision susceptible d’être contestée devant un tribunal ; analysant cette décision de suspension, la Cour a considéré que les raisons avancées de défaut de sécurité de Vincent ou de l’équipe médicale n’étaient pas des motifs légaux permettant d’interrompre la procédure ; et que la recherche préalable d’un climat apaisé ne permettait pas de suspendre la procédure sans fixer de terme à cette suspension. De sorte que, selon la Cour, la décision de suspension doit être annulée. Enfin la Cour a considéré que l’injonction qu’elle pouvait faire en la matière consistait  à enjoindre le CHU de Reims de mettre le médecin hospitalier ou tout autre praticien susceptible de lui succéder en mesure de répondre aux obligations lui incombant vis-à-vis de Vincent Lambert.

 

C’est cet arrêt qui a été soumis au Conseil d’État, en qualité de juge de cassation. Son examen portait sur la triple question de :

  • savoir si un médecin, appelé à remplacer un confrère démissionnaire, est tenu par les décisions médicales que celui-ci a prises, ou bien s’il doit personnellement prendre une décision médicale,
  • savoir s’il est légal de suspendre sine die une procédure collégiale,
  • savoir quel type d’injonction peut être adressé par un juge à un hôpital et à un médecin,

 sachant qu’entretemps, le docteur Simon a à son tour démissionné du CHU de Reims, ce qui réduit singulièrement la portée de la décision à venir.

 

Le rapporteur public répond aux plaignants

 

Lors de l’audience du 10 juillet 2017, le rapporteur public a considéré que nonobstant la démission du docteur Simon, une décision pouvait en la matière avoir un intérêt pédagogique. Il a estimé qu’un médecin, y compris dans le cadre d’une procédure collégiale, n’est jamais tenu d’exécuter les décisions prises par son prédécesseur, mais doit prendre lui-même une décision médicale, à la suite d’une nouvelle procédure collégiale. Cette proposition de réponse, soutenue par les avocats des parents de Vincent et par le CHU, est en réalité la simple application du principe bien connu d’indépendance du médecin.

 

Il a également considéré que la décision de suspendre la procédure collégiale le 23 juillet 2015 constituait bien une décision administrative susceptible d’être déférée devant un tribunal, qu’il peut être légitime de suspendre une procédure collégiale, laquelle doit tenir compte des facteurs humains et des circonstances particulières de chaque situation, mais que cette suspension ne peut pas être indéfinie. Il en résulte, si ses conclusions sont suivies, qu’une suspension est toujours possible, mais qu’elle doit simplement être assortie d’une durée. Cette question est devenue au demeurant très largement théorique puisque le docteur Simon a démissionné… et que le 3e médecin désormais en charge de Monsieur Vincent Lambert, ne pourra faire autrement que recommencer une nouvelle procédure collégiale s’il le souhaite – sachant que rien ne l’y oblige.

 

Enfin, il a considéré qu’une demande d’astreinte réclamée par François Lambert à l’encontre du CHU ne pouvait pas être acceptée, en raison du principe d’indépendance médicale. Tout au plus était-il possible d’enjoindre un hôpital à mettre un médecin en mesure de remplir ses devoirs vis-à-vis de son patient.

 

Il a donc proposé de confirmer la décision de la Cour d’appel de Nancy.

 

Quel avenir ?

 

Il y a évidemment lieu d’attendre la décision du Conseil d’Etat, qui interviendra cet été, sans qu’une date ait été fixée. Cette décision à venir aura une portée plus théorique que pratique pour Vincent Lambert. Si le rapporteur est suivi par le Conseil d’État, ce qui est le cas généralement, la décision à venir confirmera :

  • la liberté complète du nouveau médecin de réaliser ou non une procédure collégiale, sans être tenu par les procédures précédentes,
  • la nécessité d’une véritable procédure collégiale, dans l’hypothèse où elle est réalisée, et pas seulement un ersatz de procédure collégiale réalisée à la va-vite, en une journée, sans écouter qui que ce soit, tout en prétendant agir dans un climat délétère pour s’en plaindre ensuite.

 

Le nouveau médecin devra également tenir compte de la plainte pénale que les parents de Vincent ont lancé contre le docteur Kariger et contre le CHU pour maltraitances et tentative d’assassinat.

 

Il faut maintenant espérer que le dialogue puisse être renoué entre le CHU et les parents de Vincent, qui restent à ce jour les seuls aidants familiaux de Vincent Lambert.

 

A défaut, la procédure initiée par les parents de Vincent Lambert pour obtenir son transfert dans un établissement spécialisé, en vue d’une prise en charge adaptée et conforme aux bonnes pratiques médicales sera poursuivie.

 

Jean Paillot

Jean Paillot

Expert

Avocat au barreau de Strasbourg depuis 1992, expert au Conseil de l’Europe pour le compte du Saint-Siège depuis 2012. Enseignant en droit de la Santé à l’Institut Politique Léon-Harmel (DU d’Ethique biomédicale délivré par l’Université Catholique d’Angers) depuis 2007.

Partager cet article

Textes officiels

Fiches Pratiques

Bibliographie

Lettres