Au Burkina Faso, l’Agence nationale de biosécurité (ANB) doit donner son aval au lâcher de moustiques génétiquement modifiés dans les semaines à venir. Depuis 2012, le village de Surkoudiguin est le lieu d’expérimentation du projet Target Malaria. Financer à hauteur de 70 millions de dollars (près de 60 millions d’euros) par la Fondation Bill et Mélinda Gates, le projet veut lâcher 10 000 moustiques, des Anopheles gambiae génétiquement modifiés, « dans plusieurs villages de la région pour lutter contre le paludisme, première cause de mortalité dans le pays ». Ce lâcher devrait être « la première étape de l’étude, avant le test d’une technologie plus complexe, le forçage génétique, mise au point au début des années 2000 par l’Imperial College à Londres ».
« Ces moustiques génétiquement modifiés sont des mâles stériles », explique le docteur Abdoulaye Diabaté, principal porteur du projet. « Lorsqu’ils s’accoupleront avec les femelles sauvages, les œufs n’arriveront pas à maturité, donc il n’y aura pas de progéniture. » Pour lui, il faudra « environ 20 descendances d’insectes, soit moins de deux ans », pour avoir un impact massif.
La sensibilisation au projet des populations n’est pas sans poser problème et la volonté de dialogue « contraste avec la réalité sur le terrain ». Après le passage des chercheurs, une habitante de Pala regrette : « Si j’avais su, je leur aurais demandé : “Et au cas où ça ne marcherait pas, quels sont les risques pour notre village ?” ». Une autre ne cache pas son inquiétude : « On se demande comment ils pourront capturer les moustiques modifiés une fois lâchés s’il y a un problème. Mais ils nous ont assuré qu’ils pourront les reconnaître ». L’enseignant de l’école primaire de Sourkoudiguin interroge : « Comment voulez-vous traduire OGM en dioula ? ». Il ajoute : « Je pense que les habitants ne comprennent pas tout, on leur a dit que c’est pour éradiquer le paludisme, alors ils se sont jetés la tête la première dans le projet ».
Du côté du Collectif citoyen pour l’agroécologie a organisé une marche à Ouagadougou pour dénoncer le projet Target Malaria, on s’interroge : « Qu’est-ce qui prouve qu’en modifiant le gène de l’insecte, on ne va pas créer des mutants qui transmettront d’autres maladies ? Ensuite il y a la question écologique : en réduisant cette espèce, on risque de créer un vide écologique et déséquilibrer la chaîne alimentaire. Il y a beaucoup de doutes, nous ne pouvons pas accepter d’être utilisés comme des cobayes». Dans ce pays qui a déjà connu l’expérience ratée du coton génétiquement modifié de Monsanto, on déplore le manque d’information des populations (cf. Lâché de moustiques OGM, les Burkinabés réagissent ).
Le directeur du laboratoire de l’ANB, Oumar Traoré, se veut rassurant : « Nous évaluons les menaces potentielles pour l’environnement et la santé humaine et animale. Il n’existe pas de risque zéro, il faut qu’il y ait des moyens de gestion prévus en cas de problème. Dans le cas contraire, nous ne donnerons pas l’autorisation ».
Chaque année, le paludisme fait près de 440 000 victimes dans le monde. 9,8 millions de cas ont été enregistrés en 2016 au Burkina Faso, pour 4 000 décès.
Le Monde, Sophie Douce (29/06/2018) – Des moustiques OGM contre le paludisme : le projet qui fait débat au Burkina