Par Guillaume Bernard1
Émanée du Parti socialiste, une proposition de résolution parlementaire visant à « réaffirmer le droit fondamental à l’Interruption Volontaire de Grossesse » été signée par tous les chefs de groupe à l’Assemblée nationale. S’inscrivant, à l’évidence, dans la continuité de la loi du 4 août 2014, elle sera bientôt soumise à l’Assemblée plénière : elle part du principe que le recours à un avortement est un droit (1) et prétend même le qualifier de droit fondamental (2).
Exprimant une nouvelle étape de la philosophie des droits de l’homme (3), cette résolution ne changera vraisemblablement pas grand chose à la pratique de l’IVG (encore qu’elle la légitimera un peu plus), mais elle ne laissera plus aucun doute (si jamais il en subsistait un) quant à l’engagement et la responsabilité du pouvoir dans la politique publique en faveur de l’avortement (4).
1. L’avortement comme droit subjectif
Depuis la dépénalisation de l’avortement2, la législation a régulièrement élargi les possibilités d’y recourir3. Cependant, l’IVG a toujours été conçu, tant dans la loi que dans la jurisprudence4, comme une exception au principe de respect de tout être humain dès le commencement de la vie5 : il ne peut y être porté atteinte qu’en cas de nécessité. Il ne fait aucun doute que ce soit l’esprit de la loi de 1975. À l’orée des débats parlementaires, Madame Simone Veil n’a-t-elle pas expliqué, le 26 novembre 1974, que si la loi « n’interdit plus, elle ne crée aucun droit à l’avortement » ?
Mais, comme le droit positif ne reconnaît pas explicitement la personnalité juridique de l’enfant à naître, cela a conduit certaines juridictions (pas toutes6) à estimer que l’incrimination d’homicide ne pouvait pas être reconnue quant un tiers avait provoqué sa mort, même si la mère n’entendait pas avorter et que les délais pour y recourir étaient dépassés.
Très récemment, la loi du 4 août (cherchez le symbole…) 2014 a supprimé la condition de détresse prévue depuis les origines pour pouvoir recourir à un avortement. Désormais, une femme peut avorter uniquement si elle ne veut pas poursuivre sa grossesse et non plus parce que son état la place dans une situation de détresse psychologique ou matérielle. Cette évolution a donc transformé une dérogation (sans fait justificatif, l’acte est une infraction pénale) en un droit subjectif.
2. L’avortement comme droit fondamental
Mais, la proposition de résolution va encore plus loin. Elle entend « réaffirmer » (comme si cela allait de soi) « le droit fondamental » à l’avortement (comme s’il existait en tant que tel et qu’il suffisait de le déclarer). En fait, sous couvert d’une fausse évidence et d’un télescopage de notions, ce texte prétend ériger une faculté offerte par le droit positif en une puissance tirée de la nature de l’être humain : « L’Assemblée nationale (…) réaffirme
l’importance du droit fondamental à l’Interruption Volontaire de Grossesse pour toutes les femmes, en France, en Europe et dans le monde ».
La puissance publique devrait non seulement permettre un droit-liberté (« le droit universel des femmes à disposer librement de leurs corps ») mais aussi assurer un droit-créance : « L’Assemblée nationale (…) affirme la nécessité de garantir l’accès des femmes (…) à l’avortement sûr et légal ».
Or, interpréter l’avortement comme un droit de la femme conduit à une négation de l’humanité de l’enfant qu’elle porte. En effet, la mise à mort d’un être humain est un homicide ; seules des causes exonératoires de responsabilité (légitime défense, par exemple) peuvent conduire à ne pas le sanctionner. Par conséquent, puisqu’il n’y a plus besoin de justifier le recours à l’avortement, puisque celui-ci n’est plus une exception à l’infraction pénale d’homicide, puisqu’il est possible d’arrêter sa vie sans qu’aucune véritable condition restrictive ne soit exigée, puisqu’il est même envisagé que la femme enceinte disposerait d’un droit intrinsèque à l’éliminer et que la société serait contrainte de lui en assurer la jouissance, c’est que l’enfant à naître est rejeté hors de l’humanité.
3. L’avortement comme négation de l’homme
Ne pas avoir maintenu la condition de détresse pour recourir à un avortement et prétendre en faire un droit fondamental conduit à une explicite et délibérée chosification de l’enfant à naître. Quelle philosophie peut bien inspirer un système juridique qui s’arroge la compétence de dire qui est humain et qui ne l’est pas ?
Il y a, là, une conception artificialiste de l’homme7 qui nie la nature qui lui est donnée pour ne reconnaître que celle qu’il construit par sa seule volonté ; l’idéologie du gender (à distinguer des études sur le genre) repose sur le même fondement. Voici l’éclosion d’une nouvelle génération des droits de l’homme où ce dernier s’auto-définit : si l’autonomie, physique ou intellectuelle, n’est pas jugée suffisante, l’être n’est pas (ou plus) considéré comme authentiquement humain et les droits attributs de son humanité lui sont refusés.
Dans cette conception, ce n’est pas l’ontologie qui fait l’homme, mais l’exercice de sa liberté (y compris et peut-être surtout lorsqu’elle est transgressive). C’est ainsi que l’enfant à naître peut être éliminé, même s’il est génétiquement humain, puisqu’il ne respire pas seul. Mieux (ou pire) : n’étant pour rien dans son existence, son absence de volonté se retourne contre lui, malgré sa parfaite innocence.
4. L’avortement comme politique publique
La loi du 4 août 2014 et la présente proposition de résolution font basculer la pratique de l’avortement du drame individuel dans la tragédie sociale. Avec chaque année 200 000 cas (plus de 20 % des enfants conçus), c’est au moins sept millions d’avortements (pour certaines années les statistiques ne sont pas totalement fiables) qui ont été, depuis sa dépénalisation, pratiqués en France. Le point commun de chacun de ces actes, c’est la puissance publique qui mène une politique délibérée visant une catégorie déterminée d’êtres (les enfants conçus non désirés).
Si elle ne contraint pas à l’avortement, elle l’organise dans le service public hospitalier, elle le banalise en n’imposant pas de stricte condition pour y recourir, elle le publicise en en faisant supporter le coût par l’argent public8 et elle s’en fait le promoteur en
limitant la diffusion d’informations dissuasives9. Elle légitime donc l’avortement et en endosse la responsabilité ; elle fait de l’addition d’actes individuels une pratique collective sous sa responsabilité. C’est d’ailleurs bien l’esprit de la proposition de résolution qui ne prend pas la défense d’un simple laisser-faire individuel mais revendique une politique active garantissant et favorisant l’avortement : « Par cette résolution, la France réaffirme son engagement à défendre et promouvoir l’accès sûr et légal à l’avortement ».
À l’avenir, d’aucuns ne pourraient-ils pas juger bien sévèrement cette œuvre commune de la classe politique ? Ne pourraient-ils pas regarder cette pratique comme génocidaire (s’il était établi que l’enfant à naître était bel et bien un être humain) et ceux qui l’auraient permise et encouragée coupables d’un imprescriptible crime contre l’humanité ?
1. Guillaume Bernard est Maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il enseigne également dans diverses autres institutions comme l’IPLH (Institut Politique Léon Harmel) ou l’ICP (Institut Catholique de Paris). Ses recherches portent sur l’histoire des institutions et des idées politiques. Il a, notamment, codirigé le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011).
2. Loi du 17 janvier 1975 prorogée par celle du 31 décembre 1979.
3. Cf., en particulier, la loi du 4 juillet 2001.
4. Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, IVG ; Conseil d’Etat, Assemblée, 21 décembre 1990, Confédération nationale des associations familiales catholiques.
5. Article 16 du Code civil (issu de la loi du 29 juillet 1993) : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »