Un risque de dérive euthanasique : Décryptage des propositions Claeys-Leonetti

Publié le 20 Jan, 2015

A la suite de la remise du rapport « Claeys-Leonetti » au président de la République le 12 décembre 2014, le gouvernement a annoncé l’ouverture des débats sur la fin de vie à l’Assemblée nationale le mercredi 21 janvier 2015. Même si la proposition de loi Claeys-Leonetti intégrée au rapport et servant de base au débat parlementaire n’emploie pas les mots « euthanasie »  et « suicide assisté », cependant, le risque est grand qu’elle conduise à légaliser des gestes euthanasiques. Gènéthique décrypte pour vous cette proposition de loi, point de départ du débat parlementaire sur la fin de vie.

 

La Proposition de loi considère explicitement la nutrition et l’hydratation artificielles comme des traitements : « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement ». Ceci n’est pas une nouveauté mais une conséquence de la loi Leonetti de 2005. Celle-ci n’inscrivait pas explicitement qu’alimentation et hydratation étaient des traitements susceptibles d’être arrêtés. Cependant son interprétation a aboutit de nombreuses fois à les suspendre, comme cela a été le cas pour Vincent Lambert par exemple. C’est cette faille de la loi Leonetti a donné lieu à l’expression « d’euthanasie passive ». La proposition Claeys-Leonetti inscrit une nouvelle certitude légale : la nutrition et l’alimentation seront des traitements et non plus des soins vitaux dus à toute personne.

 

La Proposition de loi instaure un droit du patient à être endormi de façon irréversible tout en arrêtant son alimentation et son hydratation : « A la demande du patient (…) un traitement à visée sédative (…) provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie est mis en œuvre… ». Le docteur Béatrix Paillot[1] alerte sur une telle disposition qui prive « sans retour en arrière possible » le patient de « vivre l’ultime étape de [son] existence », « une privation de liberté » à des moments « riches de sens et d’échanges avec les proches ». La conséquence d’une telle rédaction associant sédation profonde et arrêt des traitements, incluant nutrition et hydratation, est pour Jean-Marie Le Méné[2] inévitable : elle « créer[a] une automaticité entre l’arrêt de l’acharnement thérapeutique ou de l’obstination déraisonnable (par arrêt des traitements inutiles) et la mort (par arrêt de la nutrition et de l’hydratation, abusivement assimilées à des traitements) ». Pour Olivier Jonquet[3], ce droit pourrait dériver dans les faits au « suicide médicalement assisté ».

 

La Proposition de loi présume le consentement des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté à l’euthanasie. Une présomption légale qui aboutit à obliger les médecins à pratiquer une sédation irréversible en cas d’arrêt de traitements : « Lorsque le patient ne peut exprimer sa volonté (…) dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, le médecin applique le traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès ». Le rapport Claeys-Leonetti illustre l’esprit de cette disposition en affirmant qu’ : « il est permis de penser que ces personnes pourraient qualifier ces situations d’obstination déraisonnable si elles pouvaient s’exprimer ». Ainsi, traduit Jean-Marie Le Méné, « ces personnes vivantes, mais hors d’état d’exprimer leur volonté sont présumés consentir à l’euthanasie du fait qu’elles sont présumées refuser l’obstination déraisonnable ». Les médecins se voient alors dans l’obligation de lier arrêt des traitements et sédation profonde (irréversible). Béatrix Paillot s’inquiète : « les soignants ne doivent pas être obligés d’arrêter contre leur conscience une alimentation et une hydratation artificielles bien tolérées par un malade sous prétexte que l’on veut l’endormir pour le soulager physiquement et moralement ». Et si c’est le cas comme le prévoit le texte, alors affirme-t-elle, une clause de conscience serait légitime. Ce que ne prévoit pas le texte. Car en effet, si l’on arrête l’alimentation et l’hydratation au motif que l’on endort la personne pour la soulager, « c’est pour être sûr de provoquer la mort au cas où le malade ne meurt pas aussi vite qu’on l’aurait cru […] c’est de l’euthanasie pure et simple ».   

 

La Proposition de loi rend les directives anticipées opposables : Les « directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne (…) l’arrêt des traitements et actes médicaux (…) Elles sont imposables au médecin ». Il s’agit ici de sacraliser la volonté du patient contre l’avis ou la conscience médicale. L’autonomie, la maîtrise de sa mort, est première. Pourtant, comme en témoigne les médecins, dont Béatrix Paillot, beaucoup de personnes changent d’avis quand arrivent leurs derniers instants : « il y a [alors] tant de choses précieuses à vivre ». Là encore, la clause de conscience des médecins n’est pas même évoquée par la proposition de loi.

 

Pour conclure, le docteur Olivier Jonquet rend compte d’une finalité détournée de la sédation qui avait pour vocation de soulager, apaiser, et qui dans la proposition de loi Claeys-Leonetti amène à « éradiquer le patient pour éradiquer l’angoisse et la douleur ». Cette proposition de sédation profonde et continue confirme Jean-Marie Le Méné est le « pavillon de complaisance de l’euthanasie », une « volonté explicite de « raccourcir la vie indigne », une « méconnaissance de la nature humaine et de la richesse de ce qui peut être vécu en fin de vie » selon Béatrix Paillot.

 

[1] Médecin gériatre

[2] Président de la Fondation Lejeune

[3] Médecin réanimateur CHU Montpellier, porte-parole du collectif Convergence Soignants-Soignés. 

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