Samedi 24 mai se tenait le congrès de la Société européenne de génétique humaine à Milan. Edwige Kasper, docteur en pharmacie et biologiste en oncogénétique au CHU de Rouen, y a lancé un appel pour une régulation plus stricte du don de sperme aux niveaux européen et international.
La scientifique appuyait sa demande sur un cas dramatique : entre 2005 et 2018, un donneur de sperme danois a involontairement transmis à au moins 67 enfants un variant d’un gène qui favorise les cancers. Déjà 10 d’entre eux se sont vu diagnostiquer la maladie.
Un variant inconnu jusqu’alors
L’homme est en bonne santé, mais il est porteur d’un « variant de signification incertaine sur le gène TP53 ». Si l’enfant qu’il a engendré est porteur de ce même variant, il est potentiellement atteint du syndrome de Li-Fraumeni, très rare (environ une naissance sur 5000), qui favorise la survenue de cancers précoces.
Tout d’abord, deux enfants nés d’un don de sperme venant de cette société ont été diagnostiqués avec respectivement une leucémie et un lymphome hodgkinien. Les médecins qui les ont traités ont procédé à des analyses génétiques, découvrant un variant inconnu. La banque de sperme au Danemark a été sollicitée, elle a analysé les gamètes du donneur et y a retrouvé le variant.
Le gène concerné est responsable de la production d’une protéine chargée d’empêcher les cellules de se diviser de façon incontrôlée. On sait que certaines variations dans sa séquence ADN causent le syndrome de Li-Fraumeni.
Spécialiste des prédispositions héréditaires au cancer, et notamment du syndrome de Li-Fraumeni, Edwige Kasper explique que ce variant jusqu’alors inconnu est « probablement pathogène », avec une probabilité « à 98% qu’il ait un impact sur la fonction de la protéine et peut favoriser le développement de tumeurs ». « Ce syndrome prédispose à un large spectre de cancers, avec des tumeurs rares ou d’autres plus courantes, de début très précoce (des tumeurs pédiatriques cérébrales, des sarcomes des tissus mous ou osseux, des hémopathies, des corticosurrénalomes, etc., et des cancers du sein chez des femmes de moins de 30 ans. »
Un risque de consanguinité et de « dissémination artificielle » d’une maladie génétique
Au Danemark, la banque de sperme ne donne pas d’informations sur le nombre d’enfants issus de ce don. Ailleurs, Edwige Kasper et ses collègues ont activé leur réseau de spécialistes au niveau européen. Il s’avère qu’au moins 67 enfants appartenant à 46 familles dans 8 pays d’Europe, nés entre 2008 et 2015 de ce donneur de sperme, ont été retrouvés et testés. Le variant a déjà été retrouvé chez 23 d’entre eux.
La scientifique s’inquiète du nombre d’enfants que peut engendrer chaque donneur au Danemark. « Ils indiquent fixer une limite à 75 familles. C’est énorme ! Et je ne sais pas de quand date cette limite, le nombre était peut-être encore plus important à l’époque de ce donneur précis. » En effet, cette limite n’était pas encore en vigueur lors du premier don.
Elle voit deux risques biologiques importants : d’une part, le risque d’appariement consanguin augmente, d’autant que les gens sont de plus en plus mobiles. Par ailleurs, « cela crée un risque de dissémination artificielle d’une maladie génétique. Dans la vie normale, il est extrêmement rare qu’un papa donne naissance à 75 enfants… »
L’entreprise assure être allée « au-delà des normes requises ». « Mais le dépistage génétique préventif a des limites. Chaque être humain possède environ 20 000 gènes, il est scientifiquement impossible de détecter des mutations pathogènes dans le patrimoine génétique d’une personne si l’on ne sait pas ce que l’on recherche. »
Sources : Le Figaro, Soline Roy (24/05/2025) ; The Guardian, Hannah Devlin (24/05/2025)