Trisomie 21 : faut-il recourir au dépistage ?

Publié le 8 Juil, 2011

Dans un dossier publié dans Liberté Politique, Pierre-Olivier Arduin s’interroge sur la légitimité de recourir ou non au diagnostic prénatal (DPN), tout particulièrement dans le cadre du "dépistage/diagnostic anténatals de la trisomie 21, une maladie dorénavant expressément ciblée sur le plan réglementaire et qui concerne toutes les femmes enceintes de notre pays." Il justifie cette question par le fait que le DPN peut avoir mauvaise presse "du fait du lien quasi absolu qui existe" entre lui et l’ "interruption médicale de grossesse" (IMG). Il met également en avant certaines mesures de la nouvelle loi de bioéthique qui "gagneraient à être rapidement connues des professionnels et de la population féminine" afin de desserrer l’étau du DPN et de rendre aux parents leur liberté de conscience.

Le DPN de la trisomie 21 (échographie et marqueurs sériques) est proposé à toutes les femmes de manière systématique et consiste à détecter de manière non invasive un risque particulier de handicap du fœtus pendant la grossesse. Ce n’est qu’un calcul statistique. Si le dépistage est positif, on a recours aux outils de diagnostics invasifs (amniocentèse et biopsie du trophoblaste) pour confirmer ou infirmer la suspicion d’anomalie.

Depuis 1997, les pouvoirs publics recommandaient un dépistage séquentiel mettant successivement en œuvre pendant la grossesse la réalisation d’une échographie au premier trimestre et les marqueurs sériques au deuxième trimestre. En 2008, en France, les trois quarts des femmes enceintes ont été dépistées sur ce modèle et 10% (soit 92 594 femmes) ont subi une amniocentèse : cela constitue un record mondial. Ce geste n’est pourtant pas anodin puisqu’il y a un risque de 0,5 à 1% de perdre le fœtus selon la Haute Autorité de santé. Le Comité consultatif national d’éthique avait conclu, dans son avis n°107, que "la perte d’un nombre non négligeable de fœtus indemnes de la maladie recherchée porte gravement atteinte au principe de proportionnalité."

Depuis l’arrêté ministériel du 23 juin 2009, le dépistage est combiné : échographie et marqueurs sériques sont réalisés ensemble au premier trimestre. Plus précoce, il ne permet pas le recours à l’amniocentèse mais nécessite une choriocentèse (biopsie du futur placenta), outil diagnostique qui occasionne un taux de perte fœtale au mieux égal à celui de l’amniocentèse, au pire deux fois plus élevé. En cas de confirmation de la maladie, l’immense majorité des couples a recours à une IMG. Or, selon le Conseil d’Etat une politique eugénique peut se définir comme "le résultat collectif d’une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents". C’est ce qui se passe pour la trisomie 21, avec 96% des fœtus trisomiques dépistés avortés et comme en témoigne l’analyse cynique du Pr Jacques Milliez : "Il est généralement admis que, sauf conviction ou disposition affective contraire des parents, un fœtus atteint de trisomie 21 peut, légitimement au sens de l’éthique collective et individuelle, bénéficier d’une interruption médicale de grossesse. Il existe une sorte de consentement général, une approbation collective, un consensus d’opinion, un ordre établi en faveur de cette décision, au point que les couples qui devront subir une interruption médicale de grossesse pour une trisomie 21 ne se poseront guère la difficile question de la pertinence de leur choix individuel. La société en quelque sorte, l’opinion générale, même en dehors de toute contrainte, a répondu pour eux. (…) L’indication paraît même tellement établie que les parents considèrent en quelque sorte que c’est un droit." "Rien ne serait plus désastreux que de chercher et de trouver un mongolisme ou toute autre maladie congénitale pour un couple qui n’accepterait pas l’IMG", ajoute-t-il.

Faut-il, dès lors, avoir recours au DPN de la trisomie 21 si l’on ne veut pas avoir recours ensuite à l’IMG ? Selon Pierre-Olivier Arduin, la réponse est non dans la mesure où le dépistage combiné de la trisomie 21 n’est pas complètement fiable et qu’un diagnostic certain nécessitera le recours à une amniocentèse ou choriocentèse qui constituent "un danger disproportionné de mort fœtale induite" selon le CCNE. "Faut-il alors prendre le risque de perdre le bébé uniquement dans le but de savoir s’il est ou non atteint de la trisomie 21 ?", interroge Pierre-Olivier Arduin.

Le fait est que les parents qui refusent les examens font l’objet de pressions sociales et médicales : "Malgré notre refus, le médecin s’est montré particulièrement intimidant et manipulateur", témoigne un jeune papa. Pour se protéger d’un point de vue médico-légal, les praticiens ont également pris l’habitude de faire signer une décharge à la femme qui refuse la première étape des tests sanguins. "Comment imagine-t-on qu’un individu, une femme ou un couple puissent résister seuls à une pression sociale de cette force" ?, s’interroge le psychologue-psychanalyste Jean-Philippe Legros, membre d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal.

La nouvelle loi de bioéthique, qui confirme l’obligation qui pèse sur les médecins et les sages-femmes de proposer le dépistage à toute femme enceinte, renforce l’effet incitatif et prescripteur sur le choix des mères. Pierre-Olivier Arduin note pourtant trois mesures qui "devraient concourir à un plus grand respect des consciences des parents". L’article L.2121-1 prévoit ainsi que le recours au DPN ne se fasse que sur la demande de la femme, même si toute femme doit être informée de cette possibilité : "l’expression ‘à sa demande’ témoigne du souci du législateur de redonner une marge de manœuvre à la patiente". Le même article précise que le médecin doit insister "sur le caractère non obligatoire de ces examens" et que l’opposition de la femme doit être mentionnée dans le dossier médical. Un simple refus oral de la femme ou du couple, et sa notification au dossier suffisent donc pour que le médecin s’incline devant la volonté des parents.

Il reste que de manière générale, "il ne fait aucun doute que le DPN est en soi une noble composante de l’art médical qui s’applique à l’enfant à naître en tant que patient. Et qu’il est légitime que le père et la mère du bébé souhaitent s’enquérir de son état de santé comme ils le feraient pour n’importe quel enfant déjà né". Il est donc "parfaitement licite" quand il vise une prise en charge thérapeutique de l’enfant – si elle existe – et/ou qu’il permet aux parents de se préparer à accueillir l’enfant dans les meilleures conditions. En revanche, une femme ou un couple qui se serviraient des examens prénatals avec l’intention bien arrêtée "de recourir à un avortement si une anomalie était décelée chez le bébé, commettrait un acte répréhensible sur le plan moral", précise-t-il en s’appuyant sur la doctrine de l’Eglise catholique. "La réflexion éthique englobe également ceux qui sont susceptibles de s’associer à la décision" (proches, médecins, etc.). Le lien entre DPN et avortement relève en effet d’une logique eugénique, dénoncée par le président du CCNE Didier Sicard en 2007 : "la vérité centrale (…) de l’activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non pas au traitement : ainsi ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l’éradication". Le DPN n’est pas donc pas "mauvais en soi mais change radicalement de nature en fonction de l’intention sous-jacente de la femme enceinte ou du couple".

Liberté Politique (Pierre-Olivier Arduin) 24/06/11, 01/07/11

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