Transhumanisme : “utopie de substitution pour une humanité fatiguée d’elle-même”

Publié le 20 Juin, 2011

Le quotidien Libération a publié un dossier sur le transhumanisme, mouvement revendiquant l’amélioration de l’humain, et même son dépassement, via les progrès technoscientifiques.

Né à la fin des années 1980 dans la Silicon Valley alors en pleine révolution numérique, le transhumanisme apparaît comme une “frange extrême de la cyberculture californienne“. Ses membres professent que l’humanité se trouve au seuil de la transformation la plus radicale de son histoire. Selon eux, l’homme pourra s’affranchir des limites de sa condition corporelle grâce à la convergence des technologies de pointe que sont les nanotechnologies, les biotechnologies, les sciences de l’information (informatique et robotique) et les sciences cognitives. L’union de ces technologies inspire des programmes de recherche importants aux Etats-Unis où des institutions de premier plan prennent au sérieux ce projet prométhéen d’amélioration et dépassement de l’humain. Ainsi, le rapport réalisé en 2002 sur cette “convergence NBIC“, pour le compte de la National Science Foundation et effectué sous la direction du sociologue et militant transhumaniste William S. Bainbridge, portait un titre explicite : “Converging Technologies for Improving Human Performances” (Technologies convergentes pour l’amélioration des performances humaines) (Cf. Synthèse de presse du 19/05/11).

Misant sur l’augmentation des capacités physiques et mentales de l’homme, les transhumanistes vantent un prochain allongement considérable de la vie et aspirent à atteindre à l’immortalité. Parmi les recherches nourrissant cet espoir se trouve celui du Human Brain Project, associant 13 centres de recherche en Europe et financé à hauteur de 10 milliards d’euros sur dix ans. Lancé par le neurobiologiste Henry Markram, ce projet vise à simuler le cerveau humain sur un ordinateur. Ce type de recherche nourrit certaines spéculations outrancières des transhumanistes dont les plus radicaux prédisent le transfert du contenu du cerveau humain sur un ordinateur pour atteindre l’immortalité.

Cette utopie positiviste invite l’homme à embrasser pleinement les mutations technoscientifiques à venir pour l’avènement d’une ère nouvelle, celle du “posthumain“. L’amélioration de l’humain commence par la modification du corps par les technologies. Imparfait, faible, signe de la finitude humaine, le corps biologique est l’obstacle à dépasser pour les transhumanistes et les tenants de la cyberculture qui n’y voient qu’une “viande” anachronique (meat). Le professeur de cybernétique Kevin Warwick annonce en ces termes la fusion de l’homme avec la machine : “la technologie risque de se retourner contre nous. Sauf si nous fusionnons avec elle. Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur“.

Jean-Michel Besnier, professeur de philosophie à la Sorbonne et auteur de “Demain les posthumains“, voit dans le transhumanisme “une utopie de substitution pour une humanité fatiguée d’elle-même“. Il évoque la “honte prométhéenne” dont parlait Günther Anders dans son ouvrage L’obsolescence de l’homme, en 1956, pour signifier le désarroi de l’homme contemporain se sentant dépassé par ses innovations technologiques.  Michèle Robitaille, sociologue canadienne, dénonce la façon dont les transhumanistes instrumentalisent la science à des fins idéologiques : “leur projet brouille les frontières entre science et science-fiction parce qu’il fait constamment appel à notre imagination tout en se référant à la science“. Pour François Taddéi, chercheur en biologie des systèmes à l’Inserm et directeur de l’Institut de recherche interdisciplinaire de Cochin-Necker, ce mélange des genres retire toute crédibilité au mouvement transhumaniste. “Avoir une technologie capable d’intégrer l’ensemble des fonctions humaines, on en est loin, tempère-t-il. Ce n’est pas parce qu’on comprend une composante d’un système qu’on est capable de comprendre un système complexe. On comprend tous les gènes, mais on ignore comment ils interagissent. Pareil pour le cerveau […]. il ne suffit pas d’augmenter la puissance de calcul pour simuler un être humain. Les cellules ne sont pas des ordinateurs. C’est une vision simpliste du monde“. François Taddéi remarque également à quel point les Etats-Unis ont tendance à voir dans la technologie une solution à tous les problèmes, en étant peu sensibles à leurs effets négatifs. Selon lui, on est, en France, “plus prudent concernant le vivant. On cherche plutôt à soigner les pathologies qu’à améliorer l’homme“.

Le journaliste Rémi Sussan observe que l’idéologie transhumaniste consiste en une approche individualiste qui ne prend pas en compte l’ensemble de la société, qu’elle s’enracine dans l’anarcho-capitalisme le plus libéral. Plusieurs pointent la logique de domination qu’elle suggère avec la perspective d’une humanité divisée avec des “post-humains améliorés” d’un côté, lot d’une riche élite et les milliards d’êtres humains restés “à l’état naturel” (Cf. Synthèse de presse du 03/03/11).

Libération (Marie Lechner et Frédérique Roussel) 18-19/06/11

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