A l’occasion de la sortie de son livre, Jean-Marie Le Méné évoque pour Gènéthique, les raisons qui l’ont conduit à considérer que les personnes trisomiques étaient « Les premières victimes du transhumanisme »[1].
Gènéthique : Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
Jean-Marie Le Méné : Je me rends compte que depuis 20 ans, nous sommes devant un phénomène historique : une population est en train de disparaître. Cette population ne disparaît pas à cause d’une guerre, ou d’un tremblement de terre, mais parce qu’elle a un chromosome supplémentaire. En France, 96% de la population diagnostiquée porteuse de T21, disparait par avortement. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la médecine rend mortelle une pathologie qui ne l’est pas.
Ensuite, j’ai constaté que l’attitude collective à l’égard de la trisomie s’était singulièrement durcie. Je pense à la diffusion sur les chaines publiques de la vidéo « Dear futur mum » que le CSA a condamnée simplement parce qu’il refusait que soient associés trisomie et bonheur. La vidéo était suspectée de culpabiliser les femmes qui ont fait un choix différent.
Et puis, j’ai été invité, il y a 2 ans, à participer à l’émission « la tête au carré » sur France Inter. Jean-Didier Vincent[2] était aussi invité et il est devenu tout rouge : « Les trisomique sont un poison dans une famille. Dites-le que vous êtes contre l’eugénisme ! » Il était si virulent que tout le monde était en ébullition : des centaines d’auditeurs ont appelé, indignés. A partir du moment où un médecin désigne par le nom de poison ceux au service desquels il est censé être, la médecine a changé de camp.
Enfin, je me rappelle des propos prononcés par Olivier Dossopt, député socialiste, dans les années 2009/2011, au moment de la loi bioéthique. Il disait que 96%, ce n’était pas un chiffre rond. 100%, c’était mieux. Pour lui, cette question là devait être réglée. Là, on se rend compte que, dans l’espace public, toute la réflexion a été criminalisée.
G : Il y a eu un autre évènement ?
JMLM : Le 7 août dernier, il y avait un article dans le monde sur les 70 ans d’Hiroshima. Les scientifiques qui étaient interrogés se sont tous montrés prudents. Ils plaidaient pour un encadrement de l’utilisation de la technique : des innovations techniques peuvent de nouveau se retourner contre la population qui est censée en être bénéficiaire. Un seul d’entre eux a dit le contraire. Un gynéco-obstétricien. Pour lui, la technique, c’est génial et, d’ailleurs, on a un nouveau test de dépistage de la T21 qui marche et qui est à 100% efficace. Et il dit : « N’ayons pas peur d’Hiroshima ». Le seul scientifique qui collabore à une forme d’Hiroshima qui a fait des victimes de l’utilisation déraisonnable du progrès technique, dit : « N’ayons pas peut d’Hiroshima ». J’ai pris conscience que désormais, les gens assumaient, revendiquaient l’eugénisme de la T21.
Nous nous dirigeons vers un transhumanisme qui considère que l’espèce humaine a fait son temps. C’est possible parce que les techniques : la nanotechnologie, la biotechnologie, l’informatique, les sciences cognitives… convergent toutes non pas pour améliorer l’homme ou le remettre en état, mais pour l’augmenter et le faire passer de l’espèce humaine à une autre espèce, ce qu’on appelle la singularité. Quand l’intelligence artificielle aura dominé l’intelligence humaine, on sera passé à l’ère du transhumanisme.
G : Quelles sont les conséquences de cette posture ?
JMLM : Toute l’industrie procréative est marquée par cette intention de perfectionner l’homme, de l’améliorer, et surtout de l’augmenter, considérant aujourd’hui que l’homme n’est plus rien. Aujourd’hui, l’être humain n’est plus considéré que comme une collection de molécules qui ne sont pas très différentes de celles que l’on trouve chez l’animal. On réduit l’homme à sa plus petite expression, il est dépouillé de sa supériorité, et il vaut mieux protéger un grand singe qu’un enfant trisomique.
La pensée transhumanisme n’est pas la main articulée, les yeux pour voir la nuit… c’est ce fond de néodarwinisme évolutionniste qui fait qu’on passe de la sélection naturelle à la sélection artificielle. Et l’homme, doté d’une intelligence qui le distingue quand même un peu des autres créatures, a conçu lui-même le moyen de passer de l’une à l’autre.
La sélection artificielle, c’est le dépistage, le tri des embryons, la fabrication des embryons… Et tout ce qui est fait depuis 20 ans sur le dépistage prénatal de la T21, est vraiment la matrice, la modélisation, le précurseur du transhumanisme expérimenté sur les porteurs de T21. C’est ce que j’ai voulu montré dans ce livre : les premières victimes du transhumanisme, ce sont les personnes porteuses de T21.
G : Quel est le moteur de cette évolution ?
JMLM : L’argent ! A la fin des années 2000, le laboratoire Sequenom a racheté les droits pour commercialiser le DPNI[3] et devenir le « Google du dépistage anténatal ». L’idée d’associer l’informatique à l’eugénisme, fait le fond du transhumanisme : sur ces bases idéologiques, on rajoute des moyens techniques formidables. Et pour intéresser les actionnaires à une formidable opportunité de marché, on se fait la main sur la T21 !
En France, ce test arrive alors que le choix du dépistage de la T21 est « assumé ». Et sans se poser la question du pourquoi, l’état pourrait mettre en place un milliard d’euros pour dépister les 4% d’enfants trisomiques qui échappent encore au dépistage classique.
G : Quel regard portez-vous sur l’avenir ?
JMLM : Aujourd’hui, il n’y a pas de changement de cap possible. Le dépistage va s’élargir à d’autres maladies : faute de pouvoir augmenter l’homme, on va supprimer les hommes diminués. Mais, en repartant de l’exemple de la T21, en l’élargissant, il est possible que l’eugénisme d’une population suscite une réflexion qui concerne notre avenir commun. Ce livre ne doit pas nous amener à désespérer, mais on ne peut pas entretenir de l’espoir sans avoir posé le diagnostic clair d’une situation qui ne doit pas être enjolivée. On ne peut partir que de la réalité pour la changer.
[1] Jean-Marie Le Méné, Les premières victimes du transhumanisme, Ed. Pierre Guillaume de Roux, 180 pages.
[2] Neuropsychiatre et neurobiologiste français.
[3] Le DPNI est un examen qui permet de s’affranchir du diagnostic invasif comme l’amniocentèse, risquée pour l’enfant, un test ADN sur sang maternel pour détecter les anomalies chromosomiques fœtales les plus courantes : la trisomie 21 (le syndrome de Down), la trisomie 18 (le syndrome d’Edwards) et la trisomie 13 (le syndrome de Patau).