Alors que les technologies complexes, popularisées par les médias, s’invitent dans les sciences du vivants, de Crispr-Cas 9 au forçage génétique, des voix s’élèvent pour dénoncer « la perspective eugénique » de leurs applications. Mais, comme le souligne Jacques Testart, biologiste, dans un article publié par Le Monde, ces techniques sont loin d’être maîtrisées, les techniques d’éditions agissant comme « comme un bulldozer qui essaierait de venir faire de la dentelle dans votre cuisine : le stress induit laisse des traces incontrôlées, sous forme de mutations et d’épimutations ».
Cependant, en 2016, une étude[1] révèle la possibilité de fabriquer des gamètes, des cellules « reproductrices » à partir de cellules iPS. L’étude, limitée à une expérience sur des souris, ouvre la possibilité de « fabriquer des embryons en quantité illimitée ». Pour le biologiste, la passerelle « induite entre le soma (lignée de toutes les cellules pour le fonctionnement du corps) et le germen (lignée des gamètes pour la procréation) constitue un acquis considérable pour la connaissance fondamentale et la recherche, mais elle porte aussi des promesses d’intervention sur l’animal ou l’homme ». A terme, elle ouvre à « la procréation des personnes stériles ou des homosexuels, ou encore à l’autoprocréation ».
Cette alternative à la manipulation du génome qui occupe pour l’heure les devants de la scène médiatique, pose une question éthique oubliée des débats : « Quelles conséquences eugéniques si on parvient à fabriquer des gamètes humains en abondance ? ». Elle est cependant cruciale parce qu’ « une ‘simple’ sélection, rigoureuse et étendue, serait susceptible de conduire au modelage de l’espèce, sans s’accompagner des risques inhérents aux manipulations pour modifier le génome, risques qui viennent d’être montrés pour Crispr », comme l’explique Jacques Testart. « L’outil génétique disponible aujourd’hui, ainsi que la profusion prévisible des cibles embryonnaires, permettrait la modification de l’espèce humaine en quelques générations ».
« Il faut imaginer », explique Jacques Testart, « le bouleversement à venir si la réalisation de la FIV n’imposait plus d’actes médicaux pénibles sur les femmes (sauf un prélèvement de tissu cutané) et si elle permettait simultanément l’élimination de nombreux traits génétiques réputés indésirables, voire la sélection de traits désirés »[2].
Dans ce processus, le diagnostic préimplantatoire (DPI) qui permet lors d’une FIV de « retenir un (ou plusieurs) [embryons] qui ne porte pas un caractère génétique redouté et de le transplanter dans l’utérus de la future mère », joue un rôle déterminant. Pour Jacques Testart, « on peut penser que, dès qu’une méthodologie efficace, indolore et sécurisée sera proposée pour choisir un enfant parmi tous ceux qui auraient été possibles, l’afflux des couples saturera les services biocliniques ». Et « les critères choisis devraient largement converger vers une norme médicale ou sociétale » pour conduire à une « réduction drastique de la diversité ».
Si ces évolutions devraient être profitables à l’économie de la santé compte tenu « de la réduction attendue de la fréquence de graves maladies par la présélection des naissances », elle « pourrait conduire à des désillusions, surtout individuelles ». Dans ce contexte, « les différences ou déviances par rapport à la norme, y compris la norme comportementale et les maladies mentales, devraient s’avérer intolérables » et « les dérives autoritaires au nom du bien collectif » ne sont pas à exclure.
Ce futur ne semble pas si lointain : aujourd’hui « toutes les étapes pour la sélection humaine sont désormais réalisées ou en voie de réalisation ».
Et si le concept d’eugénisme « souffre aujourd’hui de deux caricatures opposées », « son potentiel de modification de l’espèce » est négligé. « C’est bien ce potentiel que pourrait nourrir le tri embryonnaire ». Une perspective qui inquiète Jacques Testart car « c’est dans l’indifférence que se prépare la sélection des humains dans les éprouvettes des biogénéticiens ».
[2] Ces développements se heurtent aujourd’hui à deux obstacles, celui du rendement cellulaire actuellement insuffisant, et l’autre, « le plus important », impose de « vérifier que les reconversions imposées aux cellules et les manipulations nécessaires n’ont pas d’effets susceptibles de retentir sur la normalité et la santé de l’enfant à naître ».
Le Monde diplomatique (Juillet 2017)