Téléthon : une recherche résolument éthique ?

Publié le 28 Nov, 2024

La 38e édition du Téléthon se tiendra les 29 et 30 novembre. Cette année c’est Sacha qui en sera l’un des ambassadeurs principaux [1]. Le petit garçon âgé de 8 ans est atteint d’une myopathie de Duchenne [2], la maladie « emblématique » du Téléthon. Le diagnostic a été posé il y a 6 ans.

Un essai pivot l’année prochaine ?

Sacha est l’un des patients d’un essai clinique d’une thérapie génique [3] développée par Généthon, le laboratoire de l’AFM-Téléthon. Une seule injection qui lui a été très bénéfique. Alors que sa maladie peut le conduire à la paralysie, il peut désormais courir. Toutefois il est « trop tôt » pour affirmer que le petit garçon est guéri et que ses muscles continueront à produire la protéine qui lui manquait.

Cinq enfants au total, âgés de 6 à 10 ans, ont également eu accès au traitement. Leurs résultats sont « encourageants »[4]. La phase pivot de l’essai [5] devrait être lancée l’année prochaine, si les financements sont au rendez-vous. Car il s’agira d’administrer la thérapie à 64 enfants en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis [6], pour un coût total de 120 millions d’euros, comme l’indique Frédéric Revah, le directeur général de Généthon [7].

La recherche de financements, et de la rentabilité ?

« C’est largement au-delà de ce que peut apporter le Téléthon », juge le scientifique. Car l’argent récolté par le Téléthon, près de 93 millions d’euros tout de même l’année dernière [8], doit être réparti entre de nombreuses entités. En effet, « l’AFM-Téléthon s’est considérablement développée ». « Elle finance dorénavant 200 à 300 projets par an, principalement grâce aux dons issus du Téléthon », et « chapeaute une vaste galaxie de structures qui s’attellent à traiter les maladies génétiques, de la recherche à la production de médicaments ». Parmi elles on trouve « l’Institut de myologie [qui] emploie 300 experts du muscle et le Généthon, 220 personnes », ou encore l’entreprise Yposkesi, dédiée à la fabrication de thérapies géniques [9] (cf. Thérapie génique : Yposkesi ouvre une nouvelle usine).

« Depuis une dizaine d’années, l’AFM-Téléthon s’est en effet résolument tournée vers le monde industriel. » Preuve en est « son fonds d’amorçage » qui « permet de soutenir des biotechs prometteuses, à l’instar de GenSight » (cf. Un patient recouvre partiellement la vue grâce à l’optogénétique). Le seul traitement pour lequel elle a contribué au développement et qui est commercialisé [10], le Zolgensma [11], génère « environ 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires par an ». Dont « quelques dizaines de millions d’euros » viennent s’ajouter aux revenus de l’AFM-Téléthon.

La myopathie de Duchenne, comme la drépanocytose ou l’amyotrophie spinale, sont des pathologies « suffisamment fréquentes » pour « créer une opportunité de marché » comme l’explique la journaliste Marie Bartnik [12]. Un marché sur lequel le Généthon se heurte à la concurrence. Pfizer ou Sarepta Therapeutics investissent eux aussi le segment (cf. Thérapie génique : un enfant décède dans le cadre d’un essai clinique).

Mais ces traitements seront-ils accessibles à tous ceux qui en auront besoin ? Pour le généticien Patrick Gaudray, ancien directeur de recherches au CNRS, « il y aura forcément une sélection ». « A moins que les firmes pharmaceutiques jouent le jeu, ce qui est peu probable car leur modèle d’affaires repose sur le profit », souligne-t-il.

Des recherches qui utilisent encore l’embryon humain

Ainsi, les millions d’euros des généreux donateurs du Téléthon sont investis dans une certaine opacité. « Mes collaborateurs ont pas mal d’arbitrages à faire », explique le directeur de Généthon. Finalement, c’est une entreprise qui « échappe à la fois à une démarche scientifique et à la démocratie », dénonçait le biologiste Jacques Testart en 2019 (cf. Jacques Testart : « Le Téléthon, c’est quelque chose qui me choque beaucoup »).

Echappe-t-elle également à la vigilance du public, ému par les beaux témoignages dans l’enthousiasme médiatique général ? Interrogée sur le sujet par la députée Isabelle Rauch (Horizons et Indépendants) dans le cadre des questions au gouvernement le 27 novembre, la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, a déclaré que « le Téléthon n’est pas qu’une collecte, c’est un rendez-vous incontournable pour tous les Français, rendez-vous de sensibilisation et d’espoir pour tous les malades ». Eteignant ainsi l’esprit critique voire la simple curiosité quant à l’utilisation de leurs dons ?

Sur le site de l’AFM-Téléthon, on apprend qu’un essai de thérapie cellulaire pour les rétinites pigmentaires est financé par l’organisme[13], et plus précisément porté par I-Stem [14], « une structure dédiée à l’exploration des potentiels d’application thérapeutique des cellules souches pluripotentes »[15]. L’essai est en cours et utilise des cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) [16], ce qui implique de détruire les embryons humains dont elles sont issues.

Les CSEh, un mauvais pari

Evoquant son histoire[17], l’institut « est né en 2005 de la volonté conjointe de l’AFM-Téléthon et de l’INSERM de créer les conditions matérielles et humaines indispensables pour que les scientifiques français puissent rattraper le retard que la Loi dite de Bioéthique de 1994 leur avait fait prendre – en interdisant toute recherche sur l’embryon humain – dans l’exploration des potentiels thérapeutiques des cellules souches embryonnaires humaines ». Mais, n’est-ce pas plutôt en se focalisant sur les CSEh qu’I-Stem a pris du « retard » ?

Les trois publications en lien avec le développement de cette thérapie cellulaire, recensées sur le site de l’institut, font appel aux cellules souches pluripotentes induites (iPS)[18]. Des cellules reprogrammées à l’état embryonnaire à partir de cellules adultes, dont l’usage ne présente donc pas les mêmes problèmes éthiques que les cellules embryonnaires. Pour deux de ces publications, les chercheurs ont également fait appel aux CSEh. Mais, pointant les problématiques éthiques associées à ce type de cellules, Dujardin et al. vante l’intérêt des cellules iPS : « Ce nouveau type de cellule puissant est un outil formidable pour le développement de modèles in vitro, notamment en utilisant des cellules dérivées de patients pour étudier les mécanismes de la maladie et les stratégies thérapeutiques potentielles ». Elles fournissent en outre « le meilleur candidat pour la thérapie cellulaire », affirme la publication. Car, « en utilisant les propres cellules du patient ou en utilisant des iPS provenant de banques de cellules, il est possible d’éviter ou de minimiser le risque de rejet de la greffe ».

Ne serait-il pas temps pour le Téléthon de se tourner vers une recherche résolument éthique ?

 

[1] Le Figaro, Elisa Doré, «Il sait maintenant grimper au toboggan, sauter à cloche pied et courir»: comment Sacha, 8 ans, a vaincu la myopathie (14/11/2024)

[2] La myopathie de Duchenne est une maladie génétique rare qui affaiblit peu à peu tous les muscles, jusqu’à la paralysie. Elle est causée par une mutation du gène qui code pour une « protéine essentielle au soutien et à la protection des fibres musculaires » : la dystrophine. Sans cette protéine, « les muscles se fragilisent et s’endommagent progressivement ».

[3] La thérapie génique GNT0004 « consiste à injecter une version raccourcie du gène de la dystrophine, appelée microdystrophine, qui porte les fonctionnalités essentielles et peut être délivrée par un vecteur viral dans les muscles, y compris du cœur », explique Serge Braun, le directeur général adjoint scientifique de l’AFM-Téléthon.

[4] Les résultats de cette phase de l’essai terminée au mois d’octobre 2024 ont été présentés le 19 novembre lors du congrès « Breakthroughs in Muscular Dystrophy » organisé à Chicago par l’American Society of Gene & Cell Therapy (ASGCT) (cf. AFM-Téléthon, Généthon : résultats positifs de la première phase de l’essai de thérapie génique pour la myopathie de Duchenne (20/11/2024)). Les résumés ont été publiés dans la revue Neuromuscular Disorders : V. Laugel et al., 410P GNT0004, Genethon’s AAV8 vector-delivered microdystrophin gene therapy of Duchenne muscular dystrophy, first data of the phase I/II part of the GNT-016-MDYF all-in-one clinical trial in ambulant boys, Neuromuscular Disorders, Volume 43, Supplement 1, 2024, https://doi.org/10.1016/j.nmd.2024.07.290. Aucune publication dans une revue scientifique n’est signalée.

[5] https://www.clinicaltrialsregister.eu/ctr-search/trial/2020-002093-27/FR

[6] L’objectif est d’atteindre la commercialisation en 2027-2028.

[7] Ouest France, Propos recueillis par Philippe Richard, ENTRETIEN. « Au Généthon, on crée les médicaments du Téléthon » (24/11/2024)

[8] La Croix, Antoine d’Abbundo, Téléthon : la thérapie génique, entre espoirs et réalités (25/11/2024)

[9] Le Figaro, Marie Bartnik, Le Généthon en passe de trouver un traitement pour la myopathie de Duchenne (18/11/2024)

[10] Par la société Novartis

[11] un traitement contre l’amyotrophie spinale

[12] Le Figaro, Marie Bartnik, Le Généthon en passe de trouver un traitement pour la myopathie de Duchenne (18/11/2024)

[13] AFM-Téléthon, Les essais et traitements développés avec notre soutien (26/02/2024)

[14] « I-Stem résulte de la combinaison de deux entités différentes, et indépendantes : une Unité Mixte de Recherche de l’Inserm et de l’Université d’Evry Val d’Essonne (UMR 861) et le Centre d’Etude des Cellules Souches (CECS) lui-même soutenu par l’AFM-Téléthon. » https://istem.eu/organisation/

[15] https://istem.eu/recherche_et_developpement/

[16] Il vise à « évaluer la réparation du tissu rétinien par des cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien dérivées de cellules souches » : A Phase 1/2, Open-label, Safety, Tolerability and Preliminary Efficacy Study of Implantation Into One Eye of hESC-derived RPE in Patients With Retinitis Pigmentosa Due to Monogenic Mutation https://www.clinicaltrials.gov/study/NCT03963154

[17] https://istem.eu/notre-histoire/

[18] Herardot E, Liboz M, Lamour G, Malo M, Plancheron A, Habeler W, Geiger C, Frank E, Campillo C, Monville C, Ben M’Barek K. Biomechanical Characterization of Retinal Pigment Epitheliums Derived from hPSCs Using Atomic Force Microscopy. Stem Cell Rev Rep. 2024 Jul;20(5):1340-1352. doi: 10.1007/s12015-024-10717-3. Epub 2024 Apr 16. PMID: 38627341; PMCID: PMC11222240.

Dujardin C, Habeler W, Monville C, Letourneur D, Simon-Yarza T. Advances in the engineering of the outer blood-retina barrier: From in-vitro modelling to cellular therapy. Bioact Mater. 2023 Aug 12;31:151-177. doi: 10.1016/j.bioactmat.2023.08.003. PMID: 37637086; PMCID: PMC10448242.

Frank E, Cailleret M, Nelep C, Fragner P, Polentes J, Herardot E, El Kassar L, Giraud-Triboult K, Monville C, Ben M’Barek K. Semi-automated optimized method to isolate CRISPR/Cas9 edited human pluripotent stem cell clones. Stem Cell Res Ther. 2023 Apr 27;14(1):110. doi: 10.1186/s13287-023-03327-2. PMID: 37106426; PMCID: PMC10142500.

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