Sylviane Agacinski au Sénat : « La loi sur la PMA aidera et permettra d’arriver à la GPA »

Publié le 25 Oct, 2019

Alors que la conférence qu’elle devait proposer à l’Université de Bordeaux a été annulée face aux menaces d’organisations militantes (cf. Sylviane Agacinski menacée : sa conférence à l’Université de Bordeaux est annulée), Sylviane Agacinski a pu être entendue par la Délégation aux droits des femmes du Sénat plus tôt la semaine dernière. Cette audition menée dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique a été l’occasion pour la philosophe d’exposer ses arguments.

 

Un débat faussé pour répondre à une demande sociétale

 

Sylviane Agacinski commence par reposer les termes du débat. « La très grande partie des commentaires et arguments exprimés dans la presse reprend l’idée qu’il s’agit d’une ouverture et d’une extension à toutes les femmes. L’idée est reprise en boucle que jusqu’ici la PMA (procréation médicalement assistée) aurait été réservée aux couples hétérosexuels ». Discutant cette affirmation, elle rappelle que, jusqu’ici, la PMA a été proposée pour remédier à un problème de fertilité des couples lié « à un problème de santé médicalement diagnostiqué, affectant l’un des deux à procréer ». Ainsi, « parler de couples hétérosexuels vise à les opposer aux couples homosexuels et à présenter la PMA comme un privilège et à éliminer tout critère médical de l’accès à la PMA, en considérant que les couples homosexuels sont victimes d’une discrimination ». Et elle cite à ce propos Jean-Louis Touraine qui affirme dans son rapport parlementaire qu’ « il s’agit de mettre fin à une discrimination à l’égard des couples homosexuels ».

 

Pourquoi cette dialectique ? « La discrimination est un motif très efficace puisqu’elle désigne une atteinte au principe d’égalité », un argument qui a pourtant été réfuté à la fois par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat qui n’ont pas identifié d’atteinte à ce principe quant à l’accès à la PMA pour les personnes homosexuelles. Ainsi, à partir de ces faits, « la PMA est une volonté politique de répondre à une demande sociétale » qui « soustrait la PMA à des critères de santé et consacrerait par là même une sorte de droit à l’enfant en dépit de toutes les dénégations qu’on a pu entendre ».

 

Un contexte favorable : l’alliance de l’individualisme, de l’ultra-libéralisme et de la déconstruction sexuelle

 

Sylviane Agacinski convient que le désir d’enfant est « naturel, profond, émouvant », et que l’amour et les capacités éducatives de ceux qui veulent devenir parents, quelle que soit leur orientation sexuelle, ne sont pas à remettre en cause. Cependant, la demande sociétale d’enfant adressée au système de santé « est récente et n’a rien d’évident ». Il est alors nécessaire de mettre en lumière les conditions d’émergence de cette demande sociétale.

 

Pour Sylviane Agacinski, elle est d’abord la conséquence d’« une interprétation de plus en plus radicalement individualiste des droits de l’homme qui conduit à l’inflation de la revendication de droits subjectifs, sans limite, et sans autre limite que celle des désirs individuels ». En parallèle, une idéologie ultra libérale « pousse à l’extension, sans limite elle aussi, d’une société de marché et qui conduit à attribuer au corps humain et à ses parties une valeur d’échange, c’est-à-dire un prix ». C’est ce qui conduit à ce que « le désir d’enfant se traduise en demande d’enfant ». Et elle interroge : « Notre système de santé et d’assurance maladie sera-t-il capable de fournir gratuitement les mêmes prestations que ces entreprises internationales qui répondent à la demande d’enfant mais la suscitent également ? ». La philosophe en doute, rappelant que seulement 4% des couples mixtes ont actuellement recours à un don de sperme. Or, les dons sont dès à présent insuffisants. Des médecins prévoient une pénurie de sperme (cf. Levée de l’anonymat : les donneurs de gamètes ne sont pas d’accord) et certains suggèrent déjà d’indemniser les donneurs, « en contradiction absolue avec le principe de non marchandisation des éléments du corps humain » (cf. GPA, don d’organes, suicide… Est-ce que mon corps m’appartient ?).

 

A la sénatrice Victoire Jasmin qui déclarera que la médecine a fait des progrès, que les mentalités ont changé et qu’« il faut évoluer », elle rétorque : « Vous dites : ‘Il faut évoluer’. Pourquoi il faut évoluer ? Est-ce toujours bon d’évoluer ? ». Rappelant l’arrivée du travail à la chaîne, elle se méfie du « progressisme inconditionnel », soutenant que « progresser techniquement peut impliquer une régression sociale ».

 

Parachevant le tableau, la théorie de la déconstruction sexuelle complète ce contexte favorable. En effet, « si le sexe, comme le dit Judith Butler, n’est rien d’autre qu’une construction sociale, alors le père et la mère sont équivalents et interchangeables ».

 

Quid de l’intérêt de l’enfant ?

 

Agnès Buzyn, ministre de la Santé, avait prétendu que la PMA « est une chance pour la société et même un privilège ». Sylviane Agacinski interroge : « Devra-t-on également considérer qu’il s’agit d’une chance et d’un privilège pour les enfants ? C’est moins sûr ». En effet, pour la philosophe, il s’agit d’une privation a priori de la double filiation paternelle et maternelle accordée à tous les enfants. Et alors que la Convention internationale des droits de l’enfant reconnaît à ce dernier le droit de connaître ses origines, tout recours pour obtenir une reconnaissance de paternité sera interdit pour un enfant né par PMA d’un couple de femmes ou d’une femme seule. La philosophe interpelle : « L’enfant ne risque-t-il pas de se sentir exclu des règles communes et ancestrales de la parenté, avec ses deux lignées maternelle et paternelle. Il pourrait se sentir victime d’un préjudice, même d’une inégalité de condition délibérément instituée ».

 

Alors que le malaise des enfants nés d’un tiers donneur a amené un changement de terminologie : de don fait au couple infertile, on parle à présent « de l’enfant et de son donneur, dans l’idée qu’il ferait don de la vie à cet enfant », la levée de l’anonymat changera-t-elle les choses ? Pas pour Sylviane Agacinski qui parle de « bricolage ». Elle confie : « Au fond, j’ai l’impression qu’on essaie de réparer un préjudice qu’il aurait été plus simple, peut-être, de ne pas créer » et préconise de « personnaliser » l’origine de l’enfant sans la confondre avec la parenté, avec une lettre que le donneur pourrait laisser et qui détaillerait ses motivations, ainsi que des éléments de personnalité et de santé.

 

La philosophe souligne l’enjeu anthropologique crucial pour les enfants : « La parenté bilatérale et bisexuée institue l’enfant, comme fille ou garçon, parce qu’elle lui signifie sa propre incomplétude, sa limite et sa finitude. En effet, nul n’incarne l’humain à lui tout seul, ce qui veut dire aussi qu’on ne peut pas être en même temps père et mère ». Et plus tard, elle ajoute : « C’est pourquoi l’effacement institutionnel et symbolique de l’altérité sexuelle dans la filiation risque de compromettre la construction intellectuelle, mentale, psychologique de la différence entre le même et l’autre. Et donc l’identité personnelle parce que l’altérité est la condition même de l’identité. Il n’y a pas d’identité sans altérité ».

 

Une révolution dans le droit civil qui prépare le terrain pour la GPA

 

La révolution est aussi juridique : « Avec l’institution du droit de parenté doublement féminin, c’est la structure même de la parenté qui sera en réalité bouleversée. » « L’analogie de structure entre procréation et filiation disparait au profit d’une filiation en l’occurrence qu’il faut bien dire invraisemblable. » D’autre part, « l’accouchement cesse de valoir comme un fondement de la filiation maternelle », puisque les deux femmes sont reconnues au même titre de mère, que la femme ait accouché ou non.

 

Ce qui prépare indubitablement le terrain pour la GPA : « Une fois reconnu dans notre droit, le principe de la double parenté intentionnelle, c’est-à-dire volontaire, on pourra aussi l’invoquer pour la GPA ». Et à ceux qui prétendent que la PMA n’a aucun rapport avec la GPA, elle répond : « La loi sur la PMA aidera et permettra d’arriver à la GPA », confessant : « je croyais il y encore peu de temps que la PMA pour toutes ne constituerait pas un premier pas vers la GPA. Je pense que c’est aujourd’hui illusoire, vu le discours de ceux qui soutiennent le projet et ont contribué à l’élaborer ».

 

Pour Sylviane Agacinski, la pratique de la GPA « s’apparente à une forme inédite de servitude et même de réduction en esclavage », puisqu’elle relève d’une forme d’« appropriation de la personne humaine » en « exerçant à l’encontre d’une personne l’un des attributs du droits de propriété ou certains d’entre eux », rappelant ici la définition de la société des Nations en 1926 et celle du Code Pénal en France. Elle s’insurge : « Parler de GPA éthique, comme le font les tenants de cette pratique, est un véritable scandale. »

 

Même si les enfants nés par GPA « méritent toute l’attention du législateur », elle condamne la transcription automatique des enfants nés par GPA comme le « cheval de Troie » des partisans de la GPA en France. Et de s’interroger : comment maintenir un dispositif d’interdiction alors que ceux qui ont contourné la loi seront reconnus comme parents légaux « comme si rien ne s’étaient passé », considérant que c’est le droit français qui a tort ? Revenant sur l’affaire Mennesson (cf. GPA et affaire Mennesson : la Cour de Cassation permet la transcription de la mère d’intention sur l’acte de naissance), elle fustige la « propagande » qui a été menée. Rétablissant les faits, elle signale que ces enfants qui ont été présentés comme des « fantômes de la République » sont en fait revenus en France avec des passeports américains, que l’autorité parentale des époux Mennesson n’a jamais été contestée (ce qui n’a pas toujours été le cas en Italie par exemple pour de affaires similaires, cf. En Italie : les parents non biologiques d’enfants nés par GPA ne sont pas les parents légaux ), époux qui par ailleurs assurent la présidence de l’association C.L.A.R.A[1] qui milite pour la légalisation de la GPA en France et « reçoit des subventions occasionnelles d’une agence de mères porteuses californienne ». La philosophe dénonce ainsi « les mots biaisés » qui contribuent « très largement à fausser la formation de l’opinion publique » sur le sujet.

 

Et le rôle des parlementaires ? Le souci des institutions justes

 

Finalement, cette loi traite-t-elle de bioéthique ? Sylviane Agacinski répond : « La prétendue bioéthique et les lois prétendument bioéthiques ne sont pas la preuve qu’on se soucie réellement d’éthique », et elle rappelle les propos du président de la Comité consultatif national d’éthique qui estimait : « A chacun son éthique. » Et elle interpelle les sénatrices : « Peut-être revient-il aux parlementaires eux-mêmes, c’est ce que j’espère, de rappeler que l’éthique est un terme d’origine grecque que Cicéron a traduit par le mot morale. En philosophie, c’est la recherche d’une sagesse pratique. Mais cette recherche exprime une exigence qui n’est pas seulement le souci de soi, qui n’est pas seulement le souci d’autrui tel que je conçois le souci d’autrui. C’est le souci avant tout des institutions justes. Comme les individus ont tendance à suivre leurs intérêts particuliers bien plus que le bien commun et les institutions justes, la recherche éthique est avant tout nécessaire au législateur. C’est ce que disait Aristote ».

 

Annick Billon, Présidente de la Délégation aux droits des femmes, a indiqué qu’il n’y aurait pas de position de la Délégation sur le sujet. Espérons qu’à titre individuel, les sénatrices auront été sensibles aux arguments qui leur ont été présentés.

 

Pour aller plus loin :

 


[1] Comité de soutien pour la Légalisation de la GPA et l’Aide à la Reproduction Assistée.

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