Une proposition de loi visant à légaliser le suicide assisté pour les adultes en « phase terminale » en Angleterre et au Pays de Galles [1] a été officiellement présentée à la Chambre des communes. Les députés peuvent désormais prendre connaissance du contenu du texte.
Les détracteurs de ce texte controversé, qui devrait compter plus de 40 pages, estiment qu’il est « précipité avec une hâte indécente ». Ils considèrent que les députés n’auront pas le temps de l’examiner avant le débat du 29 novembre suite auquel un premier vote devrait avoir lieu [2].
Si la proposition de loi franchit la première étape à la Chambre des Communes, elle passera en commission où les députés pourront déposer des amendements, avant de faire l’objet d’un nouvel examen et d’un vote à la Chambre des Communes et à la Chambre des Lords. Ainsi, aucun texte ne sera adopté avant l’année prochaine, « au plus tôt ».
Un délai de 21 jours au total
Selon la proposition de loi, intitulée Terminally Ill Adults (End of Life) Bill, seules les personnes ayant « la capacité mentale de faire ce choix » et ayant exprimé « une volonté claire, arrêtée et informée, sans contrainte ni pression » seront autorisées à recourir au suicide assisté. Leur pronostic vital devra être inférieur à 6 mois.
Un patient voulant accéder au suicide assisté devra faire deux déclarations distinctes, devant témoin et signées, relatives à son « souhait de mourir ». Deux médecins « indépendants » devront valider la demande. Leurs évaluations devront être distantes d’« au moins sept jours ».
Un juge de la Haute Cour devra ensuite entendre au moins un des médecins. Il pourra également interroger le patient ou « toute autre personne qu’il juge appropriée ». Avant que le patient ne mette fin à sa vie, un délai supplémentaire de 14 jours devra être respecté après que le juge a rendu sa décision, « à moins que le décès de la personne ne soit imminent ».
Pas d’intervention du médecin
Outre ces conditions d’accès, la proposition de loi rend « illégal » « le fait d’exercer des pressions, de contraindre ou de faire preuve de malhonnêteté » pour amener une personne à déclarer qu’elle souhaite mettre fin à ses jours ou pour l’inciter à s’auto-administrer une substance létale. Ces faits seront passibles d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans.
Aucun médecin ni quiconque ne sera autorisé à administrer le produit létal à la personne en phase terminale. Les médecins ne seront pas non plus tenus de prendre part au processus.
Le risque d’un débat bâclé ?
Des critiques au sein du Parlement ont tiré la sonnette d’alarme sur le processus d’examen de la proposition de loi, dont le temps de débat est limité. Pour Gordon Macdonald, de l’association Care Not Killing, cette proposition de loi est « expédiée avec une hâte indécente » et « ignore les problèmes profonds du système britannique de soins palliatifs », qu’il juge « défaillant », ainsi que la « crise de l’aide sociale ».
L’« aide à mourir » « pourrait détourner les fonds du NHS des patients atteints de cancer » craint de son côté le Dr Ben Spencer, député conservateur et ancien psychiatre.
Beaucoup s’inquiètent du risque de pressions et du probable élargissement du champ d’application du texte. Parmi les questions soulevées figure notamment celle de savoir si les personnes refusant un traitement, et ainsi écourtant leur espérance de vie, pourront être éligibles.
Des hésitations, des refus, des inquiétudes
« Je regarde la façon dont l’aide médicale à mourir se déroule au Canada et franchement, cela me donne des frissons », a déclaré Nigel Farage, chef du parti Reform UK. S’il ne parvient pas à être convaincu qu’il n’y aura pas d’« abus », il affirme qu’il votera contre le texte.
Wes Streeting, secrétaire à la Santé, a également annoncé son intention de s’opposer à cette proposition. Il a été rejoint par Ed Davey, leader des Libéraux-Démocrates. Tous deux ont exprimé des inquiétudes concernant le système de soins palliatifs et la manière dont celui-ci serait affecté par toute législation sur l’« aide à mourir ». Wes Streeting s’est également déclaré préoccupé par « ces gens qui pensent qu’ils ont presque le devoir de mourir pour alléger le fardeau de leurs proches ».
Darren Jones, secrétaire en chef du Trésor, a indiqué qu’il ne voterait pas non plus en faveur de cette législation, n’ayant pas eu « assez de temps » pour l’« examiner suffisamment » avant le vote du 29 novembre.
La secrétaire à la Justice, Shabana Mahmood, a elle aussi déclaré qu’elle ne soutiendrait pas le texte en raison de sa « croyance inébranlable dans le caractère sacré et la valeur de la vie humaine ».
De son côté, le Premier ministre Keir Starmer, bien que s’étant déclaré favorable à l’« aide médicale à mourir », a assuré que le gouvernement resterait « neutre » sur la question (cf. L’« aide à mourir » : la prochaine priorité des deux côtés de la Manche ?).
Complément du 14/11/2024 : Le secrétaire à la Santé a ordonné une évaluation des coûts liés à la proposition de loi, craignant « qu’il puisse être nécessaire de réduire d’autres services du NHS si les changements étaient apportés ». Wes Streeting a affirmé qu’il « détesterait » que des personnes aient recours à l’ « aide à mourir », pensant permettre ainsi de faire des économies .
Complément du 18/11/2024 : Dean Gregory, dont la fille, Indi Gregory, est décédée en novembre 2023 après une longue bataille judiciaire pour la garder en vie (cf. Indi Gregory : un cas « tristement familier » selon l’Anscombe Bioethics Centre), s’est opposé à la proposition de loi britannique visant à autoriser le suicide assisté. Selon lui, « on ne peut pas faire confiance aux tribunaux pour prendre la bonne décision dans situations de vie ou de mort ».
[1] Les adultes résidant en Angleterre ou au Pays de Galles et inscrits auprès d’un médecin généraliste depuis « au moins 12 mois »
[2] Les propositions de loi telles que celle-ci sont appelées « private members’ bills » (PMB) et sont examinées lors des séances du vendredi. Le temps disponible pour les examiner est de 9h30 à 14h30. Si le débat est toujours en cours à 14h30, il est ajourné et le texte « tombe en bas de la liste », ce qui signifie qu’il est très peu probable que son examen soit poursuivi. Une motion de clôture peut être déposée pour mettre fin au débat et imposer un vote. Elle peut être déposée à tout moment de la procédure. Un député qui souhaite déposer une telle motion le fait généralement vers 13 heures. Si elle est approuvée, l’Assemblée vote alors sur l’opportunité d’une deuxième lecture de la proposition de loi. Si elle est rejetée, la Chambre reprend le débat et le texte a « peu de chances » de progresser dans le parcours législatif.
Sources : The Telegraph, Genevieve Holl-Allen (08/11/2024) ; Independent, Helen Corbett (12/11/2024) ; itv (07/11/2024) ; Independent, Tara Cobham (12/11/2024) ; The Guardian, Jessica Elgot, Harriet Sherwood et Kiran Stacey (11/11/2024) ; The Times, Chris Smyth et Steven Swinford (10/11/2024) ; BBC, Michelle Roberts (12/11/2024) ; Independent, Rebecca Thomas (13/11/2024) ; Aleteia, John Burger (16/11/2024)