Soins palliatifs : les députés maintiennent un « droit opposable » et préconisent une loi de programmation

14 Mai, 2025

Après le début de l’examen de la proposition de loi « relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs » la veille, les débats ont repris mardi en fin d’après-midi par une salve de rappels au règlement. En effet les députés devaient siéger ce week-end, y compris dimanche, mais le président de séance, Xavier Breton (Droite Républicaine), les informe que la séance dominicale est finalement annulée. Les travaux seront suspendus samedi à minuit pour reprendre lundi à 9h.

Patrick Hetzel (Droite républicaine) le regrette : cette décision amputera le débat de cinq heures. « Nos travaux sont suffisamment importants pour que nous puissions, d’une manière sereine, débattre de sujets importants qu’il s’agisse des soins palliatifs ou du suicide assisté », pointe le député.

Il est rejoint par Matthias Tavel (LFI – NFP) qui manifeste également son agacement, dirigé contre le gouvernement, ou encore Nicolas Turquois (Les Démocrates), Olivier Falorni (Les Démocrates) qui « trouve cela un peu cavalier » et Sandrine Runel (Socialistes et apparentés).

Xavier Breton précise que l’ensemble des groupes a été consulté en conférence des présidents. Répondant à Danielle Simonnet (Ecologiste et social) qui dénonce une décision prise par l’Exécutif, la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, assure que le gouvernement n’a rien demandé.

De premières brèches dans la proposition introduites lundi

Lundi, plusieurs amendements ont été votés, modifiant l’article 1. Avec l’adoption de l’amendement 464 présenté par Cyrille Isaac-Sibille (Les Démocrates), les soins palliatifs ne sont plus « garantis » mais simplement « offerts ». Pour le député cette mention à l’article 1 « reviendrait à créer un droit dont l’application immédiate se heurterait à des contraintes humaines et financières ». Il préfère s’appuyer sur la stratégie décennale définie par l’Exécutif pour garantir l’accès aux soins palliatifs.

Patrick Hetzel permet avec l’amendement 126 que la prise en charge soit effectuée « dans un délai compatible » avec l’état de santé du malade. De son côté, Dominique Potier (Socialistes et apparentés) précise avec l’amendement 686 que l’accompagnement concerne également les proches du patient. Yannick Monnet (Gauche Démocrate et Républicaine) veut, lui, insister sur le consentement du patient avec l’amendement 161. Il le fera à nouveau mardi avec l’amendement 164, lui aussi adopté.

Quatre amendements entendent ensuite supprimer du texte l’alinéa disposant que « l’accompagnement et les soins palliatifs ne visent ni à hâter, ni à différer la survenance de la mort ». Il avait été introduit en Commission des affaires sociales. Fanny Dombre Coste (Socialistes et apparentés, amendement 48), Laurent Panifous (LIOT, amendement 291), Hadrien Clouet (LFI-NFP, amendement 525) et Agnès Firmin Le Bodo (Horizons et Indépendants, amendement 607) obtiendront gain de cause. « Une telle précision ne parait pas pertinente, et entretient davantage la confusion sur l’objet des soins palliatifs », considère Laurent Panifous. Pour Agnès Firmin Le Bodo, « cette formulation entre en totale contradiction avec l’article L. 1110-5-3 du code de la santé publique, introduit par l’article 4 de la loi Claeys-Leonetti de 2016, qui reconnaît explicitement que « des traitements analgésiques et sédatifs […] peuvent avoir comme effet d’abréger la vie. », dès lors que l’intention première est médicale ». Pour l’ancienne ministre, « réintroduire une phrase absolue et rigide, même bien intentionnée, reviendrait à affaiblir cette doctrine médicale, à faire reculer le cadre acquis en 2016, et à mettre en insécurité juridique les soignants ». S’agit-il de préparer le terrain pour l’« aide à mourir » ?

La stratégie décennale supprimée de la loi

Roland Lescure (Ensemble pour la République), président de séance, rouvre les débats à 21h30 en appelant à, « au minimum », « préserver le rythme de croisière de 25 amendements par heure ». Il préfèrerait que le rythme s’accélère. Les heures passent et les amendements sont encore nombreux. L’hémicycle est moins clairsemé que la veille : « On est près de 200, donc bravo », félicite le président.

Les députés de tous bords insistent pour respecter la volonté du patient dès lors qu’il s’agit de désigner une personne de confiance et de rédiger des directives anticipées. Il ne doit pas être contraint à le faire. Ces amendements seront adoptés.

Après l’adoption des articles 1, 2 et 3, le président de séance se réjouit d’une certaine accélération. Pour la première fois de la soirée, Jérôme Guedj (Socialistes et apparentés) défend le principe d’une loi de programmation contre une stratégie décennale aux seules mains de l’Exécutif. Son groupe obtiendra gain de cause avec l’adoption de l’amendement 36 qui supprime l’alinéa inscrivant la stratégie décennale dans la loi.

Un « droit opposable » âprement défendu

Les soins palliatifs sont un « préalable nécessaire et indispensable » à toute autre solution, insiste Patrick Hetzel. Les élus seront attentifs à ce que le « contrôle gouvernemental en la matière soit effectué », promet-il. Christophe Bentz (Rassemblement national) abonde : « l’article 4 donne toute sa consistance » au texte sur les soins palliatifs. C’est « la grande ambition ».

Ainsi, la notion de « droit opposable » est mise en débat, entre introduction de nouvelles voies de recours ou, au contraire, déjudiciarisation du texte.

René Pilato (LFI – NFP) s’oppose aux amendements d’Agnès Firmin Le Bodo. Pour lui, il s’agit de « détricoter par petites touches » ce droit opposable. « Si on veut vraiment proposer un texte sur l’aide à mourir, on doit être imprenable sur l’accès aux soins palliatifs », argumente Yannick Monnet. « Ce n’est pas qu’une question de droit, c’est aussi l’affirmation que l’aide à mourir est un recours ultime », poursuit-il. « Si vous renoncez à l’effectivité de l’accès aux soins palliatifs, le deuxième texte n’est plus le même. »

« On sait que les garanties que nous apportons sont très théoriques », pointe quant à lui Philippe Juvin (Droite Républicaine) : « On ne sait pas quel budget on va voter dans 10 mois, personne ne sait quel budget on va voter dans 10 ans. Alors si en plus on retire dans le texte le droit tel qu’il est exprimé, on a un texte qui est purement pour se faire plaisir. »

Agnès Firmin Le Bodo, sensible aux arguments ?, retirera son amendement 609. Mais elle reviendra à la charge à plusieurs reprises. « Vous nous accusez de judiciariser mais si vous ne voulez pas de judiciarisation, mettez les moyens ! », s’offusque Yannick Monnet.

La seule concession faite sur le sujet du « droit opposable » est la suppression de la possibilité d’un recours de nature judiciaire. Il ne pourra qu’être administratif (avec l’adoption des amendements 56 et 619). Les députés de la Droite républicaine défendaient la coexistence des deux voies, pour un meilleure « accessibilité » à ce droit. Patrick Hetzel recevra le soutien de René Pilato pour s’opposer aux amendements destinés à supprimer la voie judiciaire, mais ils seront tout de même adoptés.

Un examen pour rien ?

Un peu avant 23h, alors que le débat se tend entre la France insoumise et le Rassemblement national, Sandrine Runel effectue un rappel au règlement : « lorsque le président de la République, sur proposition du gouvernement, décide de soumettre au référendum un projet de loi dont l’Assemblée est saisie, la discussion du texte est immédiatement interrompue ». Elle interpelle : « Je vous pose la question, madame la Ministre, le président de la République vient d’annoncer à la télé, alors même que nous sommes en train de débattre de ce texte depuis hier, qu’il y pensait ».

Le président de séance tente de reprendre le contrôle des échanges : « J’ai cru comprendre qu’en cas de blocage, le président pourrait éventuellement envisager d’y recourir. Ça tombe bien on n‘est pas bloqués ! lance-t-il. Alors continuons le travail ou arrêtons les débats, mais là je pense qu’on peut continuer. » La ministre abonde : le Président souhaite que l’Assemblée effectue son travail et n’interviendra que si le texte « s’enlise ».

Les députés choisissent de poursuivre leurs travaux. Au terme de la séance de mardi, quatre articles de la proposition de loi relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs auront été adoptés. Les débats sont loin d’être terminés.

L’accès aux soins palliatifs : « une question de justice, de dignité et de responsabilité »

Le dernier amendement examiné mardi soir (737) fait l’objet d’un scrutin public.

Il est défendu par Guillaume Florquin (Rassemblement national) : « notre amendement vise à inscrire une exigence éthique et fondamentale, explique-t-il : qu’aucune orientation vers le droit à mourir ne puisse être proposée à une personne tant qu’un accès effectif aux soins palliatifs ne lui a été garanti. » « On nous opposera sans doute que le gouvernement a justement choisi de traiter séparément les sujets des soins palliatifs et celui de l’aide à mourir », anticipe-t-il. « Mais avant d’envisager des décisions irréversibles comme le suicide assisté ou l’euthanasie, il est indispensable de s’assurer que toutes les voies d’accompagnement ont été proposées et notamment celle, fondamentale, des soins palliatifs », plaide l’élu. « C’est une question de justice, de dignité et de responsabilité, interpelle le député. Un choix libre n’existe que s’il est éclairé par de véritables alternatives. Sans accompagnement, sans soulagement, sans soutien, ce choix peut être biaisé, dicté par la douleur et l’isolement. »

La ministre « partage cette analyse » mais promet que cet amendement sera satisfait par une disposition de la proposition de loi relative à l’« aide à mourir » qui introduit comme préalable le fait de proposer au patient ces soins [1]. L’amendement est rejeté, l’article 4 est adopté.

« Mes chers collègues, on fait du 28,5 à l’heure. Donc c’est pas mal mais peut mieux faire », conclut Roland Lescure avec une pointe d’humour. « Demain si on pouvait atteindre les 30, comme dans un centre-ville, tranquille, ce serait pas mal », considère le vice-président de la Chambre basse. « A ce rythme-là il nous reste 95 heures de débat. » La séance est levée, les discussions reprendront mercredi après-midi.

 

[1] L’alinéa 10 de l’article 5 précise : le médecin « Informe la personne qu’elle peut bénéficier de l’accompagnement et des soins palliatifs définis à l’article L. 1110‑10 et s’assure, si la personne le souhaite, qu’elle y ait accès de manière effective »

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