Révision de la loi de bioéthique, de quoi parle-t-on ?

Publié le 15 Oct, 2019

Alors que les députés viennent de voter solennellement le texte issu de la première lecture, Claire de la Hougue, juriste et expert Gènéthique fait le point sur les principales mesures du projet de loi de bioéthique.

 

Parmi ces mesures peu connues du projet de loi figurent des dispositions en matière de dons d’organes, de génétique, de recherche sur les embryons, d’avortement et d’autoconservation des gamètes.

 

Greffe et don d’organes

 

Le projet de loi étend le don croisé d’organes en permettant le don croisé multiple. Les dons d’organes par donneur vivant ont été autorisés pour les parents à destination de leurs enfants en 1994, et de la part de l’ensemble de la famille en 2004. La loi de 2011 a permis le don croisé[1], entre deux paires donneur-receveur, il serait donc largement étendu.

 

Le projet de loi permet le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques (cellules de moelle osseuse) sur un mineur ou un majeur protégé au bénéfice de ses père ou mère et l’ouverture du don d’organe par personne vivante aux majeurs protégés. Certes des garanties sont prévues à travers une décision du juge et la représentation de l’enfant par un administrateur ad hoc mais le risque d’utiliser les plus fragiles, enfants et personnes handicapées, au bénéfice des plus forts est évident.

 

Génétique

 

Le projet de loi permet la réalisation d’examens de génétique après le décès d’une personne au profit des membres de sa famille, même si la personne n’a pas donné son consentement à l’avance, ou sur une personne hors d’état d’exprimer sa volonté. Il suffit de l’accord d’un membre de la famille, même si les autres refusent ; les résultats seront mis à la disposition de tous les membres de la famille.

 

Il organise la transmission d’une information génétique dans plusieurs situations, notamment si la personne n’est pas en mesure de le faire elle-même, ou dans les situations de rupture du lien de filiation biologique, c’est-à-dire qu’en cas de naissance par assistance médicale à la procréation avec donneur, l’enfant et le donneur peuvent être informés si on découvre une maladie génétique grave chez l’autre, dans le strict respect de l’anonymat des personnes concernées.

 

S’agissant d’enfants à naître, la femme enceinte devra être informée que les examens qui lui sont proposés peuvent révéler des caractéristiques génétiques fœtales autres que ce qui était recherché et que, dans ce cas, des investigations supplémentaires, notamment des examens des caractéristiques génétiques de chaque parent, peuvent être prescrites. Le dispositif d’information des membres de la famille potentiellement concernés pourra être déclenché.

 

Pour l’enfant à naître, le risque eugénique est majeur, et la situation anxiogène pour ses parents. L’étude d’impact admet que le patient a le droit de ne pas savoir, mais il doit être informé du risque qu’il fait courir à sa famille, ce qui peut être très culpabilisant.

 

Recherche sur les embryons

 

La loi de 2004 instaurait un régime d’interdiction assorti de dérogations. La loi de 2013 a inversé le principe, autorisant la recherche sur les embryons sous réserve d’un accord préalable de l’Agence de la biomédecine. Le projet de loi libéralise la recherche en allégeant les contraintes administratives afin, selon l’étude d’impact, de « faciliter le travail des équipes de recherche françaises et donner un nouvel élan à cette recherche ».

 

Pour cela, il distingue les embryons et les cellules souches embryonnaires humaines : il maintient l’exigence d’autorisation préalable pour la recherche sur l’embryon mais se contente d’une simple déclaration pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires, qui supposent pourtant la destruction des embryons dont elles proviennent. L’Agence de la biomédecine dispose d’un délai pour s’opposer.

 

Rappelons que la Cour de justice de l’Union européenne a exclu, au nom de la dignité humaine, la brevetabilité des inventions qui requièrent la destruction d’embryons humains, y compris à travers l’utilisation de cellules souches embryonnaires[2].

 

La recherche sur les cellules souches (embryonnaires ou adultes) a notamment pour objectif la création d’organes, afin de faciliter les greffes, mais aussi la création de gamètes pour l’assistance médicale à la procréation, qui constitue un marché en plein développement.

 

Le projet de loi prévoit de limiter le développement d’embryons in vitro pour la recherche à 14 jours, limite légale actuelle dans plusieurs pays européens. Jusqu’à maintenant la question ne se posait pas vraiment car on ne pouvait dépasser six ou sept jours mais une équipe a récemment atteint 13 jours, le véritable objectif étant l’ectogenèse, c’est-à-dire l’utérus artificiel : la procréation d’un être humain entièrement hors du sein maternel. Cependant, si les chercheurs parviennent à dépasser ce stade, la prochaine loi voudra repousser cette limite qui n’a pas de fondement vraiment justifié.

 

Le projet de loi autorise la destruction des embryons proposés à la recherche et non inclus dans un protocole après cinq ans. En effet, moins de 10 % des embryons donnés à la recherche sont utilisés. Les parents ne seront pas informés puisque de toute façon la recherche sur les embryons entraîne leur destruction, donc leur accord est supposé déjà donné.

 

Le projet de loi prévoit la suppression de l’interdiction de créer des embryons transgéniques ou chimériques. Selon l’étude d’impact, l’interdiction de créer des embryons transgéniques ou chimériques posée par la loi de 2011 est « devenue incohérente au regard de l’avancée des techniques. (…) Le maintien d’un interdit (…) serait préjudiciable à la recherche française (…) Les enjeux de compétitivité de la France dans ce domaine sont majeurs. (…) Le Gouvernement supprime donc l’interdit introduit en 2011 ».

 

Cela signifie que, pour une question de concurrence et de pouvoir, on transgresse les interdits fondamentaux posés dans les premières lois de bioéthique. On permet la modification génétique d’un embryon humain, même si cette modification se transmet aux générations suivantes, et si cela permettra par exemple la fécondation in vitro à 3 parents. Le gouvernement a beau jeu de préciser que « L’interdiction de création d’embryon chimérique continue à s’appliquer dès lors qu’elle concerne la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces » : cela interdit seulement l’adjonction de cellules animales dans un embryon humain, pas celle de cellules humaines dans un embryon animal, malgré le danger souligné par le Conseil d’État[3] et le Comité national consultatif d’éthique[4] de soulever des questions éthiques inédites. Cela pourrait conduire à brouiller la frontière entre les espèces, ou à créer une conscience humaine chez l’animal si ces cellules humaines migraient vers le cerveau de l’animal.

 

Le projet propose d’encourager les « passerelles soin/recherches » par l’utilisation facilitée d’échantillons conservés à d’autres fins en desserrant le périmètre du consentement, autrement dit il permet d’utiliser des collections d’échantillons biologiques pour autre chose que ce pour quoi les personnes ont donné leur accord.

 

Reconnaître la médecine fœtale et rénover la définition du diagnostic prénatal. Jusqu’à maintenant, seule issue prévue du diagnostic prénatal était l’interruption médicale de grossesse or, comme le souligne l’étude d’impact, « l’interruption de grossesse pour motif médical n’est pas l’objectif premier du diagnostic prénatal qui, par le diagnostic d’une pathologie fœtale ou obstétricale ainsi que sa surveillance, vise d’abord à réduire la mortalité et la morbidité périnatale, les handicaps d’origine périnatale et la mortalité maternelle ». Il est maintenant possible de pratiquer des interventions chirurgicales sur les fœtus, la reconnaissance de la médecine fœtale est donc bienvenue.

 

Avortement

 

En matière d’avortement, le texte encadre les interruptions volontaires partielles de grossesse multiple, appelées aussi réductions embryonnaires, qui sont pratiquées mais n’entrent pas dans le cadre juridique actuel de l’avortement.

 

Il supprime le délai de réflexion dans l’interruption de grossesse pour raison médicale. Ce délai (ajouté par la loi de 2011) était proposé, pas obligatoire mais l’étude d’impact prétend que « ce dispositif est coercitif (…) Cette proposition peut-être à l’origine d’un sentiment de culpabilité chez la femme et interfère dans son libre-arbitre ». A titre de comparaison, pour un achat immobilier nécessitant un prêt bancaire, le délai de réflexion obligatoire est de 10 jours et pour une chirurgie esthétique de 15 jours.

 

D’autre part, le projet de loi supprime l’autorisation parentale pour l’interruption de grossesse pour raison médicale des mineures, déjà abandonnée pour l’interruption volontaire de grossesse en 2001. Une jeune fille dans une telle situation aurait pourtant particulièrement besoin du soutien de ses parents. On peut se demander si l’objectif inavoué de cette mesure ne serait pas de faciliter l’avortement tardif des mineures, l’interruption médicale de grossesse n’étant pas limitée dans le temps, contrairement à l’interruption volontaire…

 

Enfin, le projet de loi prévoit la création d’une clause de conscience spécifique pour l’interruption médicale de grossesse. Il est assurément positif de protéger la liberté de conscience mais pourquoi ajouter un article pour cela ? Il est déjà indiqué dans le code de la santé publique que la clause de conscience prévue pour l’interruption volontaire de grossesse s’applique à l’interruption médicale. Dans le contexte actuel de virulente offensive contre la liberté de conscience des personnels de santé, on peut se demander si cette disposition ne dissimule pas d’autres intentions.

 

Autoconservation des gamètes

 

Jusqu’à maintenant, la conservation des gamètes n’était proposée que lorsque la fertilité était menacée par un traitement médical, ou en cas de don de gamètes par une personne n’ayant pas encore d’enfant. Le projet de loi autorise l’autoconservation des gamètes car ce serait une mesure de « prévention de l’infertilité liée à l’âge » et montrerait que les femmes font preuve de prévoyance et de sens des responsabilités.

Pour éviter les scandales comme ceux qui ont eu lieu dans certaines entreprises américaines, le texte précise qu’il est interdit à l’employeur de prendre en charge les frais de conservation (les frais de prélèvement étant assumés par la sécurité sociale). Les frais de conservation demeureront donc à la charge de l’intéressée.

 

L’étude d’impact souligne qu’il s’agit d’une « mesure émancipatrice pour les femmes en leur permettant notamment de se libérer des contraintes liées à l’horloge biologique » ; et qu’elle « devrait participer à renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes. En effet, l’autoconservation des ovocytes pourrait permettre de relâcher la pression à laquelle sont soumises les femmes, et de réduire l’impact de l’écart biologique entre les hommes et les femmes ».

 

Assistance médicale à la procréation

 

L’assistance médicale à la procréation est l’ensemble des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle.

 

Elle s’adresse actuellement à des couples formés d’un homme et d’une femme vivants et en âge de procréer. Elle a pour but de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué.

 

En 2016, il y a eu 147 730 tentatives, toutes techniques confondues, qui ont conduit à la naissance de 24 609 enfants. Dans plus de 95% des cas, les gamètes du couple sont utilisés, soit moins de 5% de cas avec donneur. Au 31 décembre 2016, on dénombrait 223 836 embryons conservés. L’accueil d’embryons reste minime avec 154 transferts embryonnaires en 2016.

 

L’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules, mesure phare du projet de loi, a été votée en première lecture le 27 septembre. Ces femmes auront inévitablement recours aux gamètes d’un donneur, ce qui augmentera le délai d’attente pour les couples infertiles, puisqu’aucune priorité ne leur sera accordée.

 

L’utilisation post mortem des gamètes reste interdite mais sera sans doute bientôt dénoncée comme incohérente : on permet à une femme célibataire de procréer avec les gamètes d’un inconnu, mais pas à une veuve avec ceux de son mari.

 

Le projet de loi prévoit la levée de l’anonymat du don de gamètes, décidé en 1994 pour garantir le caractère altruiste et volontaire du don et protéger les donneurs des pressions. Il permet aux enfants devenus majeurs d’accéder à l’identité de leur donneur. Le consentement du donneur à la révélation de son identité sera une condition du don, ce qui pourrait dissuader certains candidats. L’établissement de la filiation à l’égard du donneur restera impossible, et toute action en responsabilité exclue.

 

Pour régler le problème de la filiation dans les couples de femmes (l’adoption est possible depuis 2013, uniquement pour couples mariés), le gouvernement a d’abord envisagé de créer un titre spécifique dans le code civil, estimant avec raison qu’il ne pouvait inclure deux « mères » dans le même cadre que la présomption de paternité. Il a finalement renoncé à ce projet et décidé de répondre à « l’attente sociale exprimée par les couples de femmes » comme le dit l’étude d’impact. Il a donc intégré la déclaration commune anticipée devant notaire, source de la nouvelle filiation, dans le même titre que la filiation classique.

 

Le gouvernement proclame son refus ferme et définitif de la gestation par autrui, comme il excluait le mariage entre personnes de même sexe en 1999 et l’assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes en 2013. Un amendement déposé par Jean-Louis Touraine a toutefois été adopté, de nuit dans un hémicycle presque vide, décidant la reconnaissance immédiate de la filiation après gestation par autrui à l’étranger, ce qui équivaut à entériner cette pratique (cf. Projet de loi bioéthique et GPA : le « tour de passe-passe du gouvernement »). Une seconde délibération demandée par le gouvernement a rejeté cet amendement le 9 octobre mais les promoteurs de cette pratique ne désarment pas. La Cour de cassation vient également d’accorder la transcription d’un acte de naissance étranger reconnaissant la filiation à l’égard de la « mère d’intention », tout en précisant qu’il s’agit de circonstances particulières[5].

 

Pour aller plus loin :

Révision de la loi de bioéthique, quelques repères historiques

Révision de la loi de bioéthique : fondements de la loi et enjeux anthropologiques



[1] Si on a un receveur A, incompatible avec son donneur A, et un receveur B incompatible avec son donneur B, mais que le donneur A est compatible avec le receveur B, et le receveur A compatible avec le donneur B, on procède à un don croisé donneur A à receveur B et donneur B à receveur A.

[2] CJUE, Grande Chambre Brüstle c. Greenpeace (C-34/10 du 18 octobre 2011) « Le fait que cette destruction intervienne, le cas échéant, à un stade largement antérieur à la mise en œuvre de l’invention, comme dans le cas de la production de cellules souches embryonnaires à partir d’une lignée de cellules souches dont la constitution, seule, a impliqué la destruction d’embryons humains, est, à cet égard, indifférent. »

[3] Conseil d’État, Avis sur un projet de loi relatif à la bioéthique, 18 juillet 2019 p. 24

[4] CCNE, avis 129 p. 48

[5] Arrêt n°648 du 4 octobre 2019 (10-19.053) – Cour de cassation – Assemblée plénière

 

 

Claire de La Hougue

Claire de La Hougue

Expert

Docteur en droit, ancien avocat au Barreau de Strasbourg, chercheur associé à l'ECLJ

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