L’avis du comité d’éthique (CCNE) refuse de reconnaître le bien-fondé d’un droit à ne pas naître handicapé. Il rappelle le devoir de solidarité nationale envers les personnes handicapées et leur famille. En cela, on peut se réjouir que cette institution fort écoutée s’engage contre les conséquences eugéniques possibles de l’arrêt de la Cour de cassation. Cependant il est important de saisir l’argumentation amenant aux conclusions de cet avis.
« L’exercice de la liberté de choix qui est reconnue aux femmes exige en effet de la part de la société une action déterminée en deux directions qui peuvent apparaître contradictoires : l’amélioration continue des moyens de dépistage d’un côté, l’amélioration des conditions d’accueil des personnes handicapées de l’autre. »1 La conjonction de ces deux mouvements en sens contraire a pour but de combler définitivement la faille dans laquelle l’arrêt Perruche s’est engouffré. En effet, un meilleur dépistage provoque plus d’interruption volontaire de grossesse (IVG) et d’interruption médicale de grossesse (IMG) et donc supprime les possibles futurs réclamants. Davantage d’aides aux familles accueillant néanmoins un enfant, permet de supprimer les difficultés de subsistance des personnes handicapées et par là les plaintes possibles d’indemnisation afin de vivre dignement. Il semble donc que les rédacteurs de l’avis aient eu peur que l’arrêt Perruche, manifestant une volonté diffuse mais réelle d’eugénisme, fasse prendre conscience par contre-coup du caractère pervers du dépistage. Or une telle remise en question d’une politique de santé publique aurait immédiatement été interprétée comme une limitation intolérable de la liberté des femmes à interrompre leur grossesse. Il fallait donc à la fois condamner l’arrêt Perruche et sauvegarder le principe de la loi de 1975.
Conflit de droits
Mais pourquoi le condamner ? Parce que cet arrêt risquait de faire naître un droit de l’enfant opposable à celui de la mère. Un enfant aurait été en droit de demander réparation à ses parents de l’avoir laissé naître connaissant son handicap. Il y aurait eu alors conflit de droits. Or tout ce qui doterait un enfant à naître de droit pourrait être réutilisé par les adversaires de l’IVG et de l’IMG. L’avis du CCNE rend donc intouchable le principe du dépistage, lui-même au service de la liberté de la femme. Et c’est là où l’argumentation du texte apparaît fragile et réversible. Comment refuser d’attribuer a posteriori à l’enfant ce que l’on attribue d’emblée à la femme : la capacité à évaluer la vie qui vaut la peine d’être vécue ? La loi de 1975 introduit dans l’ordre de la procréation la possible intervention de la liberté humaine. Là où il y avait un processus naturel irréversible, on introduit la rupture par l’arbitraire. Ainsi celui qui bénéficie ou, ici en l’occurrence, subit ce choix, apparaît comme pouvant légitimement le contester et en demander réparation : « Vous aviez le choix de suspendre mes souffrances, et vous ne l’avez pas fait. ».
Le droit de l’enfant à réclamer se fonde donc en réalité sur le droit de la femme à avorter ou pas. Le seul à avoir explicité cette logique en l’opposant à l’incohérence de l’avis du CCNE est Henri Caillavet qui, du coup, s’est abstenu et a déclaré : « Le droit pour une femme de ne pas donner naissance à un enfant est reconnu par la loi de 1975 concernant l’avortement thérapeutique. (…) Si elle avorte, c’est qu’elle juge en conscience qu’un handicap serait une épreuve trop lourde et inhumaine à supporter par son futur bébé. Elle ne veut donc pas mettre au monde un enfant irrecevable. C’est sa liberté et personne ne saurait contester sa décision. Or, je voudrais comprendre pour quels motifs, pour quelles raisons, nous n’accepterions pas que ce qui est admis, considéré convenable pour la mère ne le serait pas pour le handicapé. Je refuse cette contradiction.» Nous assistons à une dialectique implacable : (1) le droit de la femme sur son corps est transmis à l’enfant (2) qui est désormais dépositaire d’un droit à ne pas naître handicapé ; (3) droit qu’il va alors faire peser sur sa mère. (4) Celle-ci est donc presque moralement tenue de respecter ce droit et de le supprimer. C’est effectivement ce que dit Henri Caillavet en accusant tous les parents ayant choisi d’accueillir leur enfant malgré son handicap : « je considère que permettre à un enfant handicapé de venir au monde est une faute parentale et peut-être même le témoignage d’un égoïsme démesuré. »2
1 – Avis n° 68 du CCNE, Handicap et préjudice, 29 mai 2001, ww.genethique.org
2 – Contribution de Henri Caillavet à l’avis n° 68 du CCNE, Handicap et préjudice – www.genethique.org