Respect de la vie : Pourquoi les repères s’effondrent-ils si vite ?

Publié le 21 Déc, 2014

En 40 ans, et après des siècles de consensus autour du respect et de la protection de la vie humaine, le législateur semble s’être emballé. Le 26 novembre dernier, un nouveau pas était franchi. Sous la forme d’une résolution, l’Assemblée nationale a voté un « droit fondamental à l’IVG ». Touchant à l’autre extrémité de la vie, la France s’oriente pas à pas, à l’image de ce qui se fait déjà dans d’autres pays, vers une légalisation de l’euthanasie, de gestes euthanasiques, voire du suicide assisté.  Pascal Jacob propose des pistes de réflexion pour entrer dans une compréhension de ces évolutions.

 

Sociologiquement, on pourrait interpréter l’évolution de notre rapport à la vie en disant que les progrès de la médecine rendant la mort plus rare, ils rendent aussi la vie moins précieuse. Mais ce serait faire l’impasse sur une cause plus profonde : si les mœurs ont évolué, c’est aussi parce que des leviers culturels ont été actionnés.

 

Le livre de Pierre Simon, La vie avant toute chose[1], donne de précieuses clés pour comprendre ce qui se passe. La vie, considérée longtemps comme un « souffle de Dieu posé sur notre argile », est désormais conçue comme un « matériau ». Disciple de Margaret Sanger, fondateur du planning familial et membre du cabinet de Simone Veil, ce Grand Maître de la GLDF expose dans ce livre la philosophie qui nous permet de comprendre comment, depuis une trentaine d’années, notre rapport à la vie et à la mort a changé.

 

« Il est, quelque part, un .autre état de l’homme ; il consiste à se fondre dans un être collectif qui s’étire aux frontières du temps et de l’espace. » Pour Pierre Simon, il n’y a pas des vivants qui auraient chacun une dignité individuelle, il y a seulement la Vie d’un être collectif qui se développe dans l’Histoire. « La vie est ce que les vivants en font : la culture la détermine. Sa trame n’est autre que le réseau des relations humaines[2]. »

 

Or « voici que la science accélère l’histoire [3]. » Pierre Simon va donc montrer comment la science va prendre possession de la vie, la redéfinir, afin d’accélérer la naissance de ce nouvel être collectif qui est l’œuvre du Temps. Cet être collectif est la société mère de tout individu, qui forme en lui sa conscience morale. « L’enfant n’est finalement reconnu homme que par celui qui l’a engendré : c’est ‘la’ société qui le porte dans son sein[4]. »

 

Pierre Simon explique comment la contraception d’abord, puis l’avortement, ont été les instruments de ce déplacement : la société, notre véritable être collectif, se réapproprie la vie en laissant à l’individu la seule jouissance de lui-même.

 

Seule va alors compter non cette vie mais la vie, au sens de la vie que je mène, définie non plus comme réalité biologique mais comme « relation préférentielle à l’environnement[5]. » C’est pourquoi l’euthanasie apparaît dans la foulée. « L’interdit qui pèse sur l’euthanasie, c’est en fait l’une des manifestations, en Occident, du tabou qui pèse sur la mort, une des manières de la refuser. Pis : de la nier[6]. » Et ainsi, « Aimer véritablement la vie, la respecter, implique qu’il faut avoir parfois le courage de la refuser[7]. »

 

La médecine a progressivement déplacé nos attentes : nous lui demandons non plus seulement de nous maintenir en vie, mais de nous apporter une vie heureuse, sans souffrance. La vie n’est plus sacrée : le vivant, c’est celui qui goûte sa vie avec satisfaction.

 

C’est la société, notre être collectif, qui pour Pierre Simon redéfinit sans cesse la morale : « Les valeurs traditionnelles demeurent, mais la vérité n’est pas révélée, dogmatique, immuable. Elle est évolution, fonction de la connaissance, c’est-à-dire fonction des apports de la science. Oui, au respect de la vie revendiqué par les sociétés modernes. Non, à celle de Thomas d’Aquin[8]. »

 

La loi Veil illustre ce nouveau paradigme, cette resignification[9] permanente des valeurs. La loi Veil postule pour commencer que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. » C’est en effet ce que dit le code pénal. Si l’on y songe, la vie est notre premier bien, il est donc naturel de poser un tel principe. Ainsi la loi constate le fait, à savoir qu’il y a là un être humain. C’est un fait devant lequel la loi s’incline, et dont elle garantit le respect. Mais l’article suivant ajoute aussitôt : « Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu”en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ». C’est ici que cela dérape : pour porter atteinte à un principe, il faut reconnaître que ce principe n’est pas un principe premier. Mais ce faisant, la loi affirme que l’embryon est un être humain, sans quoi elle dirait simplement que, l’embryon n’étant pas un être humain, il n’y a pas atteinte au principe énoncé.

 

Seulement la loi prétend maintenant exprimer la conscience morale d’un être collectif dont l’individu tient d’être reconnu humain. « L’individu n’est pas encore au pouvoir, mais déjà la société prend le pas sur la transcendance. La conscience nait de son être collectif[10]. » Tandis que jusqu’ici la loi disait un droit qui lui préexistait, elle prétend depuis la loi Veil créer le droit.

 

Ce livre de Pierre Simon fut retiré de la vente en 1979, six mois après sa publication. Il nous donne un éclairage précieux sur la philosophie qui agit au travers des évolutions de notre rapport à la vie.

 

[1] Pierre Simon, La vie avant toute chose, Mazarine, 1979

[2] Ibid., p. 15

[3] Ibid, p. 35

[4] Ibid., p. 205

[5] Ibid., p. 13

[6] Ibid., p. 233

[7] Ibid., p. 234

[8] Ibid., p. 58

[9] « La resignification sera la seule morale » Ibid., p. 240

[10] Ibid., p. 87

Pascal Jacob

Pascal Jacob

Expert

Après des études de Philosophie à la Sorbonne et à l’IPC, il enseigne en Lycée puis, l’agrégation obtenue, dans divers établissements supérieurs : l’IPC, l’Institut Albert le Grand à Angers, le séminaire interdiocésain de Nantes, et enfin l’Institut de Soins Infirmiers de Laval. Il a dirigé entre 1994 et 2000 le scolasticat des sjm. Depuis 2008, il fait partie de la commission diocésaine de bioéthique. Il a publié en 2008, "L’Ecole, une affaire d’Etat ?" chez Fleurus, en 2012 "La morale chrétienne est-elle laïque ?" chez Artège, en 2015 "La morale chrétienne, carcan ou libération ?" chez DDB. Il participe aux activités de l’association « Objection », dont l’objet est d'étendre la reconnaissance du droit à l’objection de conscience.

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