“Regret d’être mère”, la fabrique d’un nouveau tabou. Explications.

Publié le 14 Juil, 2016

Lundi, Libération, publiait un article fracassant : « Le regret d’être mère, ultime tabou », écho d’une étude[1] sur le phénomène du regret de la maternité. Thérèse Hargot, philosophe et sexologue, auteur du livre Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque)[2], réagissait sur les réseaux sociaux, reprochant au quotidien de ne pas aller au bout des remises en question que son analyse impose. Contactée par Gènéthique, elle s’explique.

 

Gènéthique: Pourquoi avez-vous réagit à cet article ?

 

Thérèse Hargot: L’article est courageux. Il montre l’impossibilité des femmes à dire leurs regrets par rapport à la maternité. Mais tout en analysant les causes qui ont conduit à ce tabou, l’article ne fait que constater sans démonter le système qui a produit ce tabou.

 

G: A votre avis, que faut-il remettre en cause ?

 

TH: Si on veut permettre de nouveau aux femmes d’exprimer un regret d’être mère, il faut remettre en question le droit à l’avortement qui impose un nouveau devoir de la maternité, celui d’être une mère heureuse. Aujourd’hui, avec le « droit à l’IVG », toute mère a forcément choisi de l’être, sinon elle aurait avorté. L’enfant est systématiquement perçu comme le fruit d’un désir dont les femmes portent l’entière responsabilité. Elles se doivent donc d’être heureuses et d’assumer leur choix. Elles n’ont plus d’espace pour exprimer l’ambivalence d’un désir qui ne peut être aujourd’hui que blanc ou noir, enfant ou IVG. Pas de nuances de gris… Et ce type d’injonction crée chez les femmes toutes sortes de pathologies : de vraies dépressions, des pressions meurtrières… parce qu’elles n’ont plus de lieu pour dire : être mère c’est difficile, je regrette, je n’y arrive pas… Ce qui est le lot commun de toute mère à un moment ou un autre. Le danger est plus fondamental, et de ce fait, plus pervers parce qu’il n’a pas le droit de se dire.

 

L’autre raison qui empêche les femmes d’avouer leur regret ou leurs difficultés, c’est que si elles s’expriment dans ce sens, le refrain qu’elles vont entendre en boucle c’est « tu n’avais qu’à avorter », alors que ces femmes veulent seulement exprimer une part d’ombre de la maternité. Ces femmes qui regrettent, ne remettent pas en cause d’avoir gardé leur enfant. Elles ne veulent pas avorter. Mais elles n’ont plus le droit d’exprimer cette émotion et tout devient très lourd. Elles ont besoin d’être écoutées. La loi qui devait libérer les femmes en leur donnant libre accès à l’IVG, tourne au drame en les plaçant face à un tabou. Leur souffrance est d’autant moins acceptable que jamais, la maternité n’a été à ce point valorisée.

 

G: Pensez-vous que les questions de PMA, de GPA, du droit à l’enfant, puisse entretenir ce tabou ?

 

TH: Non seulement elles l’entretiennent, mais elles le renforcent ! Avec les débats autour de la PMA et de la GPA, leurs émotions sont frappées d’un interdit encore plus fort ! Les revendications du droit à l’enfant de certaines communautés sonnent comme l’équivalent d’un droit au bonheur, être « mère » c’est s’accomplir. Comment dire après qu’on n’en a assez ?

 

G: L’article semble déplorer que l’enquête exclut l’homme. Qu’en pensez-vous ?

 

TH: C’est malheureusement très symptomatique des questions qui entourent la maternité. Je trouve très dommage que l’homme n’ait plus sa place, parce qu’elle était un bon contrepoint à l’ambivalence du désir, très propre à l’expérience de la maternité, aux femmes.

 

Traditionnellement, la loi protégeait l’enfant. Avec le droit à l’IVG, la loi ne joue plus son rôle. Dans une famille, l’ambivalence du désir de la femme est normalement assumé par l’homme. Je m’explique : comme femme, j’attends de mon homme qu’il m’écoute et qu’il continue à me protéger et à protéger les enfants. Il est très masculin de dire : « Il y a des choses qui se font et d’autres qui en se font pas. Tu veux que l’enfant meurt ? C’est non ». Or tout est fait, déjà avec la contraception, pour faire de la maternité une affaire de femme, où l’homme est peu engagé. Quand l’homme n’est pas dans son rôle, quand la solution proposée à l’ambivalence du désir de la femme est l’IVG, la femme ne va plus oser exprimer à l’homme sa colère, ses sentiments, avec les dégâts qui s’en suivent pour elle-même et pour la relation à son enfant. Parce qu’elle sait qu’il est possible de le tuer. Avec l’IVG, les femmes ont revendiqué une libération qu’elles sont seules à assumer. Et le tabou est d’autant plus fort qu’inconsciemment, les femmes ont intériorisé ce tabou, elles s’autocensurent.

 

G: Le constat est dur, que faut-il faire ?

 

TH: Le jour où je veux un enfant, s’il ne vient pas, c’est la catastrophe ! Le jour où ça vient et que je regrette, c’est la catastrophe aussi… Il faut témoigner d’autre chose : retrouver le sens de la vie non pas comme un but, mais comme un fruit. Accueillir la complexité de la maternité comme quelque chose qui nous dépasse. Et l’accepter libère ! Dire que c’est difficile, pleurer, crier sa colère, avouer qu’on souhaite ne plus être mère, est une expérience libérante qui aide à mieux la vivre.

 

Je trouve très dommage que l’article publié dans Libération, se contente juste de déplorer la situation sans remettre en cause le système, sans remettre en cause le « droit » à la contraception et le « droit » à l’avortement qui a conduit à une nouvelle conception de la maternité, idéalisée, dont les femmes sont les premières victimes.

 

[1] « Regretting Motherhood : A Sociopolitical Analysis », in Signs (Journal of women in culture and Society, vol. 40).

[2] « Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque) », Thérèse Hargot, Editions Albin Michel, 2016. 

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